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visite chez lui, pendant qu’on affichait sur sa porte la proclamation de Leclerc ; qu’il leur annonça cette mesure, « qu’à l’instant, un voile sérieux éteignit sur leur physionomie l’air de confiance qui l’animait. Leurs yeux devinrent mornes, leurs bouches silencieuses. Ils prirent tous l’attitude froide du respect. » Après leur sortie de ses appartenons, il les observa à travers les jalousies qui ferment les fenêtres des maisons.

« Le chef de brigade Pétion, dit encore cet auteur, s’arrêta pour lire l’arrêté du général en chef. Il était en face de moi, entouré de ses officiers. Les gestes et les soupirs de quelques jeunes subalternes décelaient leur sombre douleur. Le chef de brigade Pétion lut l’arrêté sans que ses traits perdissent rien de leur impassibilité ; je l’entendis murmurer avec mépris : — Il valait bien la peine de le faire venir pour lui donner, ainsi qu’à nous, ce déboire[1], »

Cette impassibilité que montra Pétion en cette occasion, comme en tant d’autres, est le partage des hommes supérieurs par leur génie, fixes dans leurs opinions, capables de résolutions énergiques. À quoi bon eût-il montré les mêmes impressions que ses jeunes officiers ? Rigaud, chef des hommes de couleur, venait d’être sacrifié à la violente injustice du gouvernement consulaire, à sa politique : dans les révolutions des peuples, il faut qu’il y ait de semblables victimes, des martyrs voués d’avance à toutes les ignominies. Déceler sa sensibilité par l’altération de ses traits, n’est que de la faiblesse.

  1. Mémoires, etc. t. 2, p. 191. Nous sommes étonné qu’après ce récit, M. Madiou ait pu dire que — « Pétion ne put contenir son émotion, et dit avec humeur à ses compagnons d’armes qui l’entouraient… » Histoire d’Haïti, t. 2, p. 233. Cela prouverait que M. Madiou n’a pas bien étudié le caractère politique de Pétion.