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Anglais, il eût pu faire acte d’autorité à l’égard de Bauvais, dont l’arrondissement faisait partie du Sud, ou faire un appel à son patriotisme pour l’entraîner, et avec lui la belle légion de l’Ouest. Qui sait si, alors, Bauvais ne se fût pas déclaré pour lui, si son indécision n’eût pas cédé devant la résolution de Rigaud ?

Dans les troubles civils où les esprits se partagent, les convictions se décident souvent en faveur de l’homme que la fortune favorise et qui se montre résolu surtout. À Léogane comme au Port-au-Prince, beaucoup de personnes formaient des vœux en faveur de Rigaud : toutes s’attendaient à une marche en avant. À l’Arcahaie, à Saint-Marc, aux Gonaïves, dans tout le Nord, dès qu’on apprit l’événement du Petit-Goave, les hommes de couleur (les anciens libres), manifestèrent le même désir ; et c’est cette manifestation, sans doute imprudente, que T. Louverture traduisit en complot, en conspiration ourdie par Rigaud.

Loin de saisir cette circonstance si favorable, cette disposition de l’esprit public, Rigaud s’arrêta tout-à-coup. Le militaire, en lui, fut paralysé par l’homme politique : il n’apprécia pas cette situation. Cependant, chef d’un parti, il avait eu de bonnes raisons pour résister à T. Louverture : du moment que l’épée était tirée du fourreau, y avait-il à hésiter ? En n’essayant pas d’ébranler le moral des troupes de son adversaire, il faillit arrêter l’élan de ses propres troupes. Il en avait peu, il est vrai ; mais elles étaient aguerries, pleines d’ardeur, commandées par des officiers d’une valeur éprouvée. Il fallait, les pousser en avant, essayer de conquérir l’opinion des masses en sa faveur. Vainqueur, il eût été approuvé par le Directoire exécutif comme l’a été son rival ; car, bien que les vœux patents de ce gouvernement fussent pour T. Louverture qui ser-