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Louverture leur fit observer qu’il n’était pas dans la même position qu’un gouverneur espagnol, qu’il venait prendre possession d’un pays cédé à la France et en son nom : « Dès-lors, je ne puis faire ce que vous me demandez. Mais je jure de tout mon cœur, devant Dieu qui m’entend, que je mets le passé dans l’oubli, et que mes veilles et mes soins n’auront d’autre but que de rendre heureux et content le peuple espagnol devenu français. »

Don Garcia lui ayant présenté alors les clés de la ville, il dit : « Je les accepte au nom de la République française. » Et s’adressant à l’assemblée de tous les fonctionnaires, il dit : « Allons remercier l’auteur de toutes choses d’avoir efficace cernent couronné du plus grand succès notre entreprise prescrite par les traités et les lois de la République[1]. »

Il se rendit à la cathédrale avec l’assemblée, et le Te Deum, chanté par un clergé nombreux, consacra solennellement la prise de possession de l’ancienne colonie espagnole.

Ce dut être un moment d’extrême bonheur pour T. Louverture qui voyait Don Joachim Garcia, son ancien supérieur, obligé, forcé de lui céder le terrain, le commandement dans la partie espagnole où il avait été si humble. Néanmoins, il lui manquait quelque chose pour satisfaire cette félicité inespérée ; car les hommes sont généralement insatiables dans leurs désirs : un titre, une qualité nouvelle devenait indispensable dans une situation si prospère : il l’eut !

Mais en parvenant à l’apogée de sa puissance, T. Louverture y trouva la principale cause de sa chute ; car l’éni-

  1. Mémoires de Pamphile de Lacroix, t. 2, p. 17 et 18. Cet auteur cite la date du procès-verbal de la prise de possession au 27 janvier ; il aura été rédigé et signé ce jour-là ; mais cette cérémonie eut lieu le 26.