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ainsi porter un défi à toute cette classe intelligente et énergique !…

Mais, laissez-nous raconter ce que fit alors le mulâtre qui était destiné à relever ce défi.


Dès le jour où T. Louverture s’était prononcé contre les hommes de couleur à l’église du Port-au-Prince, au mois de février, en reprochant à toute cette classe la déportation des suisses, Pétion n’avait plus vu en lui que l’aveugle instrument des colons. Ses nouvelles imprécations à son retour du Nord, l’hypocrisie qu’il avait déployée à l’église de Léogane, avaient achevé en Pétion le jugement qu’il porta de lui. Les arrestations, les massacres déjà exécutés avant et depuis ces scènes de bigoterie, ne lui permettaient plus de rester dans les rangs de son armée. Il était, comme on sait, adjudant-général employé auprès de Laplume, dans l’arrondissement de Léogane. Il avait, comme adjoint à l’adjudance-générale, le capitaine J.-P. Boyer, qu’il affectionnait. Il lui communiqua sa pensée de quitter son poste et de passer auprès de Rigaud, dès que l’occasion s’en présenterait. Ce n’est pas qu’il aimât Rigaud plus que T. Louverture, ni qu’il approuvât leur querelle dès son origine ; mais, du moment que ce dernier agissait dans les vues perfides de la faction coloniale, il sentit que sa place était désormais parmi ceux qui soutenaient le système contraire. Une telle défection, motivée sur des principes politiques, est toujours louable ; elle ne constitue pas une trahison  : la trahison existe quand on fait défection en faveur d’un ennemi étranger. Pétion fit encore défection en 1802, et avec raison : en abandonnant l’armée française pour se joindre à ses frères, il quitta une cause qui n’était pas légitime.