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À l’égard de T. Louverture, si Pamphile de Lacroix, de même que Kerverseau, le représente comme jaloux de Rigaud[1], lui-même a fait éclater ce sentiment regrettable pour sa propre gloire, dans sa lettre àHédouville, en date du 22 septembre : il avait trop de mérite pour être jaloux.

Mais quant à Rigaud, que Pamphile de Lacroix offre à l’histoire comme « étant toujours disposé à accuser le général de Laveaux de favoriser les nouveaux libres ; comme ayant vu avec autant de jalousie que de peine la promotion de T. Louverture au grade de général de division ; comme faisant peser le joug le plus dur sur les noirs, la défiance la plus inquiète sur les blancs ; [2] c’est là tout un système créé par l’imagination de cet auteur.

Nous avons assez prouvé dans ce volume, que Rigaud n’avait aucun sentiment hostile pour les noirs, tout en convenant qu’il n’aimait pas les colons. Pour les noirs, c’eût été de sa part une absurdité ; et les noirs eux-mêmes ont démenti cette assertion, par leur attachement à Rigaud. Pour les colons, c’est autre chose. Qui les aima jamais, qui pouvait aimer des hommes qui haïssaient leurs enfans, qui n’étaient point attachés à leur patrie, à la France, puisqu’ils livrèrent sa colonie à ses éternels ennemis ? Qui pouvait estimer les émigrés, fuyant le sol natal pour aller partout solliciter les puissances étrangères de l’envahir, afin d’étouffer la liberté du peuple français ? Les émigrés, qui se mirent dans les rangs de leurs armées pour combattre leurs concitoyens, leurs frères ? Mais quant aux autres blancs français attachés à leur pays, qui le défen-

  1. Mémoires, pages 332, 340 du tome 1er.
  2. Mémoires, tome 1er, p. 308, 315, 320.