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nure enfin d’un vrai militaire. Il dut mettre dans ses manières, déjà exquises, tout ce qu’il fallait pour tâcher de séduire l’agent de qui il avait tout à attendre. Son sourire seul captivait les cœurs ; et c’est tout cet ensemble de sa personne, indépendamment de ses services et de son caractère d’une franchise peut-être imprudente, qui lui fit montrer toujours tant d’enthousiasme.

On conçoit alors qu’Hédouville, général français, qui sentait sa valeur personnelle, qui représentait le gouvernement de la métropole, qui connaissait les antécédens de ces deux généraux, dut mettre une différence dans l’accueil qu’il leur fit. Cet accueil même, indépendamment de ces circonstances, était calculé ; il entrait dans les vues, dans l’objet de sa mission qui consistait à les dominer tous deux, pour assurer l’empire de la métropole dans sa colonie.

La conduite de Rigaud, depuis sa scission avec l’agence de 1796, parlait assez haut dans l’esprit d’Hédouville, pour le porter à ne pas mettre à exécution l’odieux ordre d’arrestation et de déportation dont il était porteur. Et disonsle, il savait en outre qu’il pourrait tirer un meilleur parti de la situation, pour bien remplir sa mission. S’il n’avait pas cette arrière-pensée, personnelle ou directoriale, que n’ordonnait-il à Rigaud d’aller remplir son mandat de député au corps législatif[1] ? On objectera peut-être à ce raisonnement, que les Anglais étaient encore en possession du Môle et de Jérémie, et que les talens militaires de Rigaud pouvaient être utilisés contre eux ; mais après le départ forcé d’Hédouville, après le compte qu’il a dû

  1. La lettre de Rigaud à T. Louverture, du 30 novembre, affirme qu’il demanda vainement sa démission à Hédouville, pour aller remplir en France son mandat de député. (Vie de T. Louverture, par M. Saint-Rémy, p. 219.).