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même les cinq villes qui étaient en leur possession, — le Port-au-Prince, l’Ârcahaie, Saint-Marc, Jérémie et le Môle Saint-Nicolas ; ayant épuisé tous les argumens pour porter Rigaud à trahir la France, ils pensèrent que son émule se prêterait mieux à leurs vues, qui étaient alors de s’assurer, sinon le monopole du commerce de la colonie, du moins un grand débouché pour leurs marchandises et une grande part dans l’exportation des produits du sol. Le général qui avait réussi à éloigner Laveaux pour parvenir à son rang de chef de l’armée, qui venait de forcer Sonthonax à s’embarquer, dut avec raison leur paraître un homme assez politique pour accepter leurs propositions. Ils ne les lui firent pas immédiatement ; mais ils s’attachèrent dès-lors à user de grands ménagemens envers lui, en envoyant souvent auprès de lui des parlementaires sous divers prétextes, qui lui portaient des lettres extrêmement flatteuses. Ces procédés agirent naturellement sur la vanité du général en chef.

Se voyant ainsi adulé, même par ces ennemis qu’il combattait depuis trois ans, T. Louverture fit bientôt sentir sa force à ce faible J. Raymond qui n’avait pas su prendre le seul parti honorable pour lui. À ce sujet, laissons parler un témoin oculaire qui le vit peu de jours après le départ de Sonthonax : c’est le général Kerverseau qui raconte les faits au ministre de la marine, dans son rapport déjà cité. Désigné par l’agence pour aller à Saint Yague, en qualité de commissaire délégué, il était encore à Monte-Christ, lorsqu’il fut rappelé par Raymond. Il dit, en parlant de T. Louverture :

« Il était encore dans l’ivresse du triomphe, lorsque j’arrivai au Cap. Je vis le héros du jour ; il était radieux ; sa joie étincelait dans ses regards ; ses traits épanouis annon-