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sairement occuper le premier rang, on crut qu’il fallait détruire leur influence en détruisant leur prestige, pour ramener la classe blanche à son pouvoir politique.

Ce fut là le but unique de la mission de l’agence dont Sonthonax accepta la présidence et la direction. Cette politique trouvant dans ses ressentimens antérieurs le véhicule le plus puissant pour le mettre à exécution, il s’y jeta tête baissée, dans la triste pensée qu’il était personnellement un être adoré des masses noires. Les circonstances qui précédèrent immédiatement son retour à Saint-Domingue, favorisant encore l’exécution de cette politique, il s’y dévoua avec toute l’ardeur de son caractère.

Son erreur fut de croire qu’en abattant le pouvoir des hommes de couleur, il parviendrait à assurer davantage la liberté générale des noirs. Il ne put reconnaître qu’il préparait ainsi l’accomplissement de la réaction qui allait toujours croissant contre eux ; car, rétablir entièrement la prépondérance de la race blanche, c’était favoriser la restauration de la puissance des colons, abattue par lui-même ; c’était les mettre à même d’exercer au moins leur pernicieuse influence dans un avenir plus ou moins éloigné. L’homme même qu’il choisit pour être placé au pouvoir, et dont il connaissait fort bien tous les antécédens, fut celui qui réalisa les vues de la faction coloniale. Il ne sut pas deviner ce qu’il y avait en lui de funeste à ses frères : il paraît l’avoir reconnu, mais trop tard, après avoir subi l’ostracisme prononcé contre lui ; car son discours au conseil des Cinq-Cents prouve qu’il entrevit alors le résultat qui arriverait infailliblement. Le mal était fait par lui-même, et il accusa son protégé outre mesure. Son amour-propre blessé le porta encore à lancer de nouvelles accusations contre l’homme de couleur qui personnifiait sa