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français a envoyés dans la colonie, c’est à ce gouvernement seul à en connaître. Nous n’avons et ne voulons avoir d’autre appui que sa justice.

Si les Africains[1], pour la liberté desquels j’ai combattu, devenaient ingrats au point de méconnaître mes services, je n’en serais pas moins fidèle à ma patrie, pas moins attaché aux sublimes principes qui m’ont dirigé : je trouverais au fond de mon cœur la douce consolation d’avoir embrassé une cause à laquelle la mienne est nécessairement liée, et qui aurait été aussi la vôtre si vous aviez connu vos vrais intérêts ; mais ils ne sont pas tous si injustes, à mon égard : l’affection de ceux qui me connaissent me venge bien de la haine qu’on a suggérée à ceux qui n’ont pas été à portée de m’apprécier. Au reste, un républicain qui, pour le bonheur de son pays, sait affronter la mort dans les combats, doit-il la craindre de la part des factions de l’intérieur ? Et cette crainte doit-elle le porter à trahir ses devoirs, à vivre dans l’ignominie plutôt qu’à mourir, s’il le faut, avec gloire et sans reproche ?

Il n’est pas étonnant que vous m’ayez envoyé un livre composé par un colon et qui ne parle que de la nécessité de l’esclavage. La lecture que j’en ai prise n’a fait que me convaincre de la conformité des principes de l’auteur avec les vôtres et ceux de vos pareils.

Je dois réprimer votre insolence et relever le ton méprisant avec lequel vous me parlez du général français, Toussaint Louverture. Il ne vous convient pas de le traiter de lâche, puisque vous avez toujours craint de vous mesurer avec lui, ni d’esclave parce qu’un républicain français ne peut pas être un esclave. Ces titres vous appartiennent, parce que vous n’avez jamais su combattre vos ennemis qu’avec les armes de la perfidie lorsqu’ils étaient sans défense, et parce que vous servez des homes dont vous ne pourrez jamais devenir l’égal, que vous travaillez, en les servant, à maintenir l’esclavage. Toussaint, au contraire, combat sous les drapeaux de la liberté pour affranchir les hommes que vous asservissez. Sa qualité de nègre ne met aucune différence entre lui et ses concitoyens, sous l’empire d’une constitution qui n’établit pas les dignités sur les nuances de l’épiderme.

Lorsque vous aurez pris connaissance de mes sentimens par la lecture de la présente, vous serez sans doute convaincu que mon honneur serait gravement compromis, si j’avais une plus longue correspondance

  1. On se rappelle que Sonthonax et Polvérel appelaient les noirs africains, et les hommes de couleur, citoyens du 4 avril.