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Lisons maintenant la réponse de Rigaud.

Aux Cayes, le 29 messidor an 5 de la République française
une et indivisible (17 juillet 1797).
Le général Rigaud, à J. B. Lapointe, aux Arcahaies.

J’ai reçu avec autant de surprise que vous méritez de mépris, la lettre que vous m’avez écrite ; et mon étonnement s’est accru à chaque ligne que j’en ai lue.

D’abord, j’ai cru que ce pouvait être l’aveu des crimes que vous avez commis envers votre patrie et vos frères : je m’imaginais que, reconnaissant enfin la profondeur de l’abîme où vous vous êtes précipité, vous vouliez, avant de subir le sort qui vous attend, transmettre à la postérité, par mon entremise, le tableau des plaies que vous avez faites à l’humanité : mon cœur s’ouvrait à la joie en vous croyant encore susceptible de remords… Mais non : vous persévérez dans le vice, et vous proposez à un républicain intègre de vous imiter !… de sacrifier ainsi la gloire de Vous avoir combattus, vous et vos maîtres, et d’avoir constamment résisté à vos efforts réunis, à vos promesses et à vos menaces ! Et dans quel temps, grand Dieu t osez-vous tenir ce langage ? Au moment même où la paix rendue à l’Europe, dites-vous, réglera les destinées de Saint-Domingue. Ces destinées peuvent-elles être incertaines ? Et Lapointe peut-il se flatter d’en goûter le fruit ? La colonie de Saint-Domingue peut-elle appartenir à une autre puissance qu’à la République française ? Et pouvez-vous espérer d’y finir paisiblement vos jours, après avoir abreuvé cette terre de tant de sang innocent[1] ?

Est-ce vous qui prenez tant d’intérêt à mes camarades et à moi, vous qui avez fait égorger impitoyablement ceux qu’il était en votre pouvoir de sauver ? Vous qui auriez consommé, si vous l’aviez pu, la destruction de tous les hommes de couleur attachés à leur patrie, avez-vous l’audace de vous montrer sensible aux malheurs dont vous les croyez menacés ?

Si nous avons quelques différens avec les agens que le gouvernement

  1. Lapointe est mort aux Cayes, dans la même ville où mourut Rigaud, quelques années après lui ! Après avoir erré à l’étranger, dans le mépris de ceux qui le connaissaient, il obtint de Pétion la permission de rentrer en Haïti dès 1812. Le chef qui secourut Billaud-Varennes dans sa détresse, pouvait bien souffrir que Lapointe vint mourir sur sa terre natale.