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Ce fut mon premier mouvement. Ma résolution était inébranlable, et il n’y avait pas à balancer un moment.

Les communes alarmées de mon départ, pressées par les motifs impérieux énoncés dans leurs arrêtés, me requièrent formellement de rester à mon poste, et me rendent responsable des malheurs que mon absence leur fait présager. Elles m’empêchent donc de remplir un devoir qui ne concerne que moi, pour m’en imposer un qui intéresse tout le département, d’oublier ma propre cause pour ne songer qu’à leur défense.

Eh bien ! oui, je resterai à mon poste, je ferai le sacrifice de tout ce qui m’est personnel, pour ne m’occuper que du salut de mes concitoyens. Je le dois, ce sacrifice, aux témoignages d’estime et de confiance dont ils m’honorent, et que je suis jaloux de mériter.

J’y resterai jusqu’à ce que le Corps législatif ou le Directoire exécutif de la République française, qui doit décider de mon sort, m’ordonne d’aller me justifier, ou prononce définitivement. J’y resterai, et je défendrai le département au péril de ma vie, jusqu’à ce que le gouvernement français ait pourvu aux moyens de garantir cette partie précieuse de la colonie, que j’ai conservée, que je suis jaloux de lui offrir intacte des invasions de l’ennemi extérieur, et de mettre à l’abri des entreprises de l’ennemi intérieur.

J’y resterai, sans crainte qu’on se prévale de mon absence au tribunal où je suis déféré ; j’y enverrai néanmoins ma justification. J’ai encore assez bonne opinion de l’impartialité et de la justice de la commission déléguée par le gouvernement français aux îles sous le vent, pour ne pas douter que sa religion ayant été surprise par des envieux, des ennemis de mon repos, des méchans conjurés contre moi, qui l’ont induite à erreur, elle ne concoure loyalement avec moi à prémunir mes juges contre toute prévention.

J’y resterai, et je serai toujours fidèle à la République.

Ma vie ne m’appartient pas ; elle est à ma patrie ; dès longtemps je la lui ai consacrée. Je prends donc l’engagement solennel de défendre le département comme je l’ai défendu jusqu’à présent, de le conserver intact à la République au péril de mes jours. Que mes concitoyens se rassurent, qu’ils soient tranquilles, je veille à leur salut : je sens l’importance du fardeau dont je me suis chargé en cédant à leurs vœux 5 je jure de les remplir fidèlement.

Vive la République !

André Rigaud.