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Sonthonax fut le seul membre de l’agence qui ne consentit point à la déportation de Rochambeau, et qui protesta même contre son arrêté. Il motiva son opinion contraire en disant : « Qu’il était bien éloigné de voir des motifs suffisans de destitution contre Rochambeau ; que ceux articulés contre lui ne lui paraissaient pas appuyés sur des preuves certaines ; que cette mesure sévère lui paraissait impolitique dans les circonstances où se trouvait la colonie ; et en conséquence, il vota contre la destitution. »

Et cependant Sonthonax avait signé seul, comme président de l’agence, l’arrêté qui mandait Pinchinat au Cap, — parce qu’on le considérait comme l’auteur des troubles du 30 ventôse, l’instigateur secret du projet criminel de détacher la colonie de la métropole et déformer une assemblée coloniale !

Nous constatons donc que Sonthonax avait deux poids et deux mesures dans la distribution de la justice. Facile à soupçonner lorsqu’il s’agissait de Pinchinat, il devint scrupuleux quand il s’agit de Rochambeau. Distinction entre le mulâtre et le blanc, entre le mulâtre et le noir, telle était sa justice en 1796. Son opinion ne reposait que sur l’appréciation morale de la conduite de Rochambeau ; car pour lui, le droit n’était rien dans une telle affaire. Mais le rapport de Marec signale encore, dans les arrêtés de l’agence, la violation de l’article 145 de la constitution, qui proscrivait toute détention arbitraire, et il démontre que la détention de Rochambeau n’était autre chose. Selon Sonthonax, sa déportation était impolitique, parce que l’agence venant de déporter Villatte, il ne convenait pas d’en faire autant à l’égard d’un blanc, cette agence ne devant agir que contre les mulâtres.