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Pour les autres (les mulâtres) je n’en veux aucunement, et particulièrement Chanlatte. Mes officiers et soldats sont déjà fort mécontens de lui ; et il ne faut pas, pour vouloir faire un petit bien, faire un grand mal, parce que, si Chanlatte vient ici, ce ne sera que pour faire des cabales, contre moi, contre vous, et contre les intérêts de la République ; et cela me forcerait, peut-être, à manquer à mon chef, et peut-être aussi à la République. Car, il y a ici des hommes emprisonnés pour des cabales qu’ils ont faites pour Chanlatte. De grâce, général, faites en sorte qu’il ne soit pas dans mon commandement, — ni Martial Besse[1].

Vous savez bien, nous en avons parlé ensemble, que j’ai des officiers avec moi qui ont bien mérité d’être généraux de brigade… il est bien juste, mon général, que vous me laissiez un à nommer parmi mes officiers, quand il en sera temps.


Après les sollicitations et les menaces, — les caresses :

Le plaisir que j’ai eu de recevoir votre lettre a été pour moi la plus douce satisfaction d’un fils qui reçoit les nouvelles d’un père qu’il aime tendrement. Soyez persuadé, général, de ce que je vous ai dit et dirai toujours, — que je suis et serai pour vous jusqu’à la fin de mes jours. Je vous désire pour toujours une heureuse santé. Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous aime autant que moi-même.


Ces diverses lettres de T. Louverture prouvent qu’il était aussi rancuneux que méfiant et qu’injuste. Il n’a pu oublier le succès momentané d’Antoine Chanlatte contre lui ; car bientôt après, il avait chassé Chanlatte d’Ennery. Succès et revers sont des chances habituelles à la guerre, et un brave militaire apprécie toujours la valeur de son ennemi et l’estime. Une âme élevée ne conserve point un profond ressentiment pour de tels faits surtout, quand souvent ils ne dépendent que d’une circonstance minime et fortuite. T. Louverture était méfiant, parce qu’il jugeait

  1. Le même Martial Besse qui l’assista au château de Joux.