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rétablir l’esclavage des noirs. Mais nous verrons par la suite s’il ne le rétablit pas lui-même de fait, tout en se servant des mots de liberté et d’égalité, en justifiant ainsi la prévision de Boissy-d’Anglas, que nous avons fait remarquer dans son lumineux rapport.

Nous verrons sans doute beaucoup de proclamations de T. Louverture ; mais à notre avis, celle-ci qui paraît être la première qu’il émit, est un chef-d’œuvre d’astuce et de ce machiavélisme qui le distingua parmi ses contemporains. De ce jour, par le langage qu’il tient aux noirs, il a effacé, annulé complètement l’autorité de Laveaux.

Quand il excitait ainsi les passions contre les hommes de couleur, il ne s’apercevait pas, malgré toute sa sagacité, tout son génie, qu’il détruisait ses propres forces ; il ne prévoyait pas quelle serait l’injuste récompense qu’il recevrait un jour de la part de ceux qui, dès-lors, se servaient de son influence pour arriver à ce résultat ; il ne croyait pas qu’un cachot du fort de Joux serait sa dernière demeure. C’est là, peut-être, que recevant une assistance cordiale de la part de l’un de ces scélérats, de ces monstres que l’enfer a vomis sur la terre de Saint-Domingue, il aura reconnu ce qu’il y avait de coupable, lorsque sa plume traçait ces injures imméritées, contre des hommes qui n’avaient demandé cependant ni aux négresses, ni aux blancs colons de leur donner l’existence[1].

  1. Le mulâtre Martial Besse, détenu aussi au château de Joux, copia pour T. Louverture, le mémoire qu’il avait rédigé pour être adressé au Premier Consul. (Vie de T. Louverture par M. Saint-Rémy, p. 400.)

    André Rigaud lui-même, (suivant les mémoires du fils de T. Louverture), également détenu dans ce château, donna à son ancien ennemi des témoignages de sa sympathie dans leur commun malheur, dans les persécutions dont