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Louverture, en cette circonstance, n’eût pas profité de la faute de son rival. Tant pis pour celui-ci, s’il n’a pas su se conduire en militaire soumis, en fonctionnaire subordonné, en bon citoyen, en homme politique perspicace. Tout ce que nous devons désirer pour T. Louverture, en nous supposant témoin de ces événemens, c’est qu’il sache s’arrêter sur la pente de l’abîme que Laveaux a ouvert devant lui, que Sonthonax va bientôt élargir sous ses pas. S’il s’y précipite, nous examinerons aussi sa conduite pour dire notre opinion à son égard, comme nous l’exprimons à l’égard de Villatte.

En attendant cette époque, nous voyons dans sa correspondance avec Laveaux, que dès le 10 avril, étant à la Marmelade, T. Louverture lui signalait Delair, à Jean-Rabel, comme un perturbateur de la tranquillité publique ; que le 15, rendu aux Gonaïves, il lui annonce avoir pris des mesures pour éclairer les noirs contre leurs ennemis ; que là encore, le 18, il revint sur le compte de Delair qui, selon lui, travaillait l’esprit des noirs de Jean-Rabel, du Moustique et du Pendu, ainsi qu’Étienne Datty, mais qu’il prend ses précautions pour les éclairer ; qu’ensuite, des blancs ayant été tués dans la paroisse de Bombarde, par des assassins dont le chef se nommait Larose (un noir de l’habitation Foache, fort lié avec Delair, dit Laveaux, pour insinuer contre ce mulâtre), T. Louverture lui écrivit : « J’ai frémi d’horreur en apprenant ce fait. Vous n’aurez pas de peine à deviner d’où est parti ce coup funeste. Est-il donc décidé que les cultivateurs seront toujours le jouet et l’instrument des vengeances de monstres que l’enfer a vomis dans cette colonie ! Cela surpasse l’imagination. Le sang de tant de victimes crie vengeance ! Ces monstres, ce sont les mulâtres !