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sortant du Dondon, de prendre bien garde de ne pas passer par le grand chemin, parce qu’il y avait une forte embuscade au Carrefour-à-Vincent, mise par la général Biassou pour faire feu sur moi. Malgré que j’avais assez de forces avec moi pour repousser ladite embuscade, j’agis avec prudence, en me détournant du chemin où l’on m’avait tendu le piège, et je me rendis par ailleurs à la Marmelade : étant arrivé, j’ai trouvé les troupes dans le plus grand désordre, et une partie était déjà partie pour cerner les avenues du Dondon, pour reprendre les bêtes à cornes, tafia, etc., que le général Biassou leur avait enlevés. Les troupes du Corail avaient fait route de même pour Ennery, pour ouvrir un chemin pour les Gonaïves. Je m’empresse aussitôt de donner des ordres partout pour les faire rétrograder ; mais les esprits étaient si montés et irrités, que je n’ai pu me faire obéir, ni pas même être écouté. Figurez-vous, Monseigneur, une troupe révoltée, en fureur et sans frein ; et que pouvais-je dans un moment de crise pareille ? Mes prières et mes protestations n’ont pu les retenir : enfin, ils ont attaqué contre mon gré le bourg du Dondon ; ils ont tout pillé et dévasté, et par surcroît de malheur, il y a eu des morts et des blessés ; il en a été de même à Ennery, l’habitation Larivière a été saccagée.

Voilà, Monseigneur, les fruits des conseillers du général Biassou et de ceux qui lui font faire des sottises, et au lieu d’avancer nos opérations, il en résulte le contraire ; et le service du Roi souffre beaucoup de retard. Aussitôt que cette scène malheureuse s’est passée, des gens malintentionnés ont été prévenir M. le commandant général, en l’assurant que j’avais tourné les armes contre le Roi, mon maître, et que j’allais marcher contre Saint-Raphaël. M. le commandant général, sans doute ajoutant foi à ce qu’on lui disait, a de suite fait arrêter mon neveu, le brigadier Moïse, qui se trouvait blessé à Saint-Raphaël, et fait mettre une garde à ma famille. Cependant, les uns et les autres ont été relâchés, quand M. le commandant a vu réellement qu’on lui avait supposé.

Ah ! Monseigneur, qu’il est malheureux pour moi de me voir ainsi soupçonné, moi qui ai combattu depuis tout temps les ennemis de notre grand Roi, moi qui veille sans cesse et qui travaille pour le bien général ! Non, jamais je n’aurais cru que mes chefs auraient eu le moindre doute sur ma personne. Et je ne vous cache pas, Monseigneur, que la démarche que vient de faire M. le commandant général (D. Cabrera) à mon égard et celui de ma pauvre famille, m’a singulièrement frappé ! Il aurait au moins dû s’assurer des faits, et ne pas me condamner sur de simples rapports. Je lui ai donné con-