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voit tout, à qui rien n’est caché et qui lit nos plus secrètes pensées, et qui connaît la pureté de mes intentions, mon amour pour mon Roi et pour le soutien de sa cause, n’a pas permis que je fusse victime de la méchanceté des hommes. À la vérité, on n’est jamais à l’abri de la médisance et de la calomnie ; mais ma conduite, j’ose le dire, sans tache et à la vue de tous mes supérieurs, me servira toujours de bouclier contre les traits que mes ennemis pourront me lancer : ainsi, je ne les crains point ; ils peuvent exercer leur malignité et faire tout ce que bon leur semblera.

J’ai donc eu l’honneur. Monseigneur, de vous exposer que j’étais à Saint-Raphaël à l’attente du général Biassou, lequel s’est expliqué formellement qu’il ne voulait plus de réconciliation avec moi ; et, ayant passé par Saint-Michel, il assura M. Don Cabrera, en lui jurant et protestant, qu’en attendant votre décision, il resterait parfaitement tranquille, et qu’il ne me ferait pas le moindre mal, et qu’il allait au Dondon pour établir son quartier-général. Il ne fut pas plus tôt arrivé audit bourg, qu’il commença à désarmer, mettre à la barre et piller tout ce que j’avais de plus cher, en s’emparant en même temps des bêtes à cornes et du tafia que le commandant général m’avait donnés pour faire subsister mes troupes de la Marmelade, et arrêtant tout ce que mes gens portaient de l’Espagnol. Pendant mon séjour à Saint-Raphaël, il avait tenu la même marche au canton d’Ennery, ayant placé un camp sur le grand chemin des Gonaïves pour intercepter les allants et venants de la Marmelade, en leur ôtant tout ce qu’ils portaient des Gonaïves, en les pillant, les maltraitant et les mettant aux fers. Toutes mes troupes étaient : soulevées en mon absence, vu que le général Biassou leur ôtait toutes les subsistances et qu’il publiait à haute voix, que j’étais arrêté à Saint-Raphaël, et qu’étant son prisonnier, qu’il attendait vos ordres pour m’envoyer lié et garrotté par devers vous. Jugez, Monseigneur, l’effet qu’ont dû produire une conduite si irrégulière et des propos lâchés avec aussi peu de prudence. J’avais beau écrire à mes subalternes, que tout ce que Biassou débitait sur mon compte était faux, et que j’étais pour mon plaisir à Saint-Raphaël, rien n’était dans le cas de les apaiser ni leur faire entendre raison.

Enfin, Monseigneur, M. le commandant général, voyant l’opiniâtreté du général Biassou, et craignant avec juste raison quelque événement malheureux, il me donna ordre pour me rendre à la Marmelade afin d’apaiser mes troupes, les rassurer et les maintenir dans l’ordre. Étant arrivé au Bassin-Caïman, je fus prévenu par des personnes affidées