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nous deux aurait l’air d’une fuite, et en serait véritablement une. Ce départ accréditerait les calomnies qu’on a plus d’une fois répandues sur les richesses que nous avons accumulées et mises à couvert, et sur le dessein qu’on nous a si souvent imputé, d’aller hors de la colonie et hors de la France jouir de nos rapines. Celui qui resterait ne pourrait plus faire aucun bien à Saint-Domingue, parce que la fuite de son collègue lui ferait perdre à lui-même toute considération et toute confiance. Que pourraient de plus opérer, pour la défense de la colonie, la présence et les réclamations de l’un de nous à la barre de la convention nationale ? Nous sommes entourés de révoltés, de traîtres, d’Espagnols et d’Anglais ; le mal est instant. Le voyage que vous me proposez ne pourrait tout au plus amener des secours à Saint-Domingue que dans sept à huit mois. À cette époque, la colonie serait, ou totalement vendue aux ennemis, ou entièrement débarrassée d’eux : dans l’un ou dans l’autre cas, les secours que nous serions allés réclamer seraient parfaitement inutiles. Ce n’est point en France ni à la Nouvelle-Angleterre que nous devons chercher les moyens de défense de la liberté et de l’égalité dans Saint-Domingue ; c’est à Saint-Domingue même. Je suis atteint depuis six mois d’une maladie dont les progrès sont rapides et qui amèneront ma destruction inévitable, pour peu que mon séjour à Saint-Domingue soit prolongé. J’aurais donc plus de raison que vous de fuir ce climat meurtrier ; mais j’aurai le courage de remplir ma mission jusqu’au bout, et de périr, s’il le faut, à Saint-Domingue, plutôt que d’abandonner mon poste. »


Polvérel écrivit cette lettre le 22 décembre ; précédemment, le 22 septembre, il répondait à A. Chan-