Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 2.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les ennemis de la liberté. Je m’enterrerai, s’il le faut, sous les ruines de Saint-Domingue ; mais je n’en provoquerai pas la destruction. Depuis que nous sommes dans la colonie, je ne me suis vu dans aucune situation qui ait pu motiver ce cri de fureur, brûlons tout ! et je n’en prévois aucune dans l’avenir qui puisse me l’arracher. Ne brûlons rien, conservons tout, sauvons la colonie, la liberté et l’égalité, mais entendons-nous une fois, et que je sache pourquoi je me bats, contre qui je me bats, et quels sont nos ennemis.


Cette lettre est du 1er décembre. Quelle supériorité le caractère ferme, mais modéré de Polvérel, ne lui donnait-il pas sur Sonthonax dont le plus grand défaut, à notre avis, était l’emportement ! Quelle prévision de sa part, alors que la Grande-Bretagne croyait saisir une proie au milieu des Antilles, de pressentir l’avenir de la race africaine dans ces mers ! Car c’est de notre succès, dit Polvérel, que doit dépendre le sort des Africains chez les autres puissances.

Peut-on nier, en effet, que la liberté des noirs de l’ancien Saint-Domingue, que leur résistance contre les Anglais, contre les Espagnols, et plus tard contre les Français, n’aient contribué à porter la grande et puissante Nation qui s’est constituée la Protectrice de la race africaine, à affranchir si généreusement les esclaves de ses colonies des Antilles ? Et par suite, n’est-ce pas à son noble exemple, que la France, à son tour, abjurant comme elle un passé d’affligeante mémoire, a conquis une position égale dans l’estime des amis de l’humanité et de la liberté, et des droits à la gratitude des Africains et de leurs descendans ? Au point où en sont les choses maintenant, la Providence a-t-elle dit son dernier mot relativement aux hommes de cette race que nous voyons, de Paris où nous sommes, gémir encore sous le fouet inhumain des barbares planteurs des deux Amériques ?