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des yeux, pour reconnaître que l’égorgement de cent soixante hommes est un crime énorme.

À cette proclamation était joint un extrait de la séance de la convention nationale, du 16 juillet, où Billaud-Varennes demanda la mise en accusation de Polvérel et de Sonthonax, qui fut décrétée. On conçoit l’influence que ce décret dut exercer sur les esprits en général ; bientôt nous laisserons Sonthonax apprécier lui-même cette influence désastreuse pour la cause républicaine.

Mais Polvérel voulant combattre le mauvais effet de ces publications et donner suite à ses propres idées sur l’organisation de la liberté générale, rendit, le 31 octobre, la proclamation qui suit ; elle est datée des Cayes :


Il est temps, dit-il, de vider la grande querelle entre les droits de l’homme et les oppresseurs de l’humanité. Elle finira à Saint-Domingue comme elle a fini en France, par la mort ou par la fuite des traîtres et des tyrans ; par la liberté et l’égalité de tous les hommes.

Les esprits sont mûrs enfin pour cette grande révolution : maîtres et esclaves, tous ont reçu les leçons de l’expérience et de l’adversité, tous sont devenus sages, à force d’erreurs, de forfaits inutiles et de calamités qu’ils ont eux-mêmes attirés sur leurs têtes.

L’Africain a éprouvé que la liberté ne peut exister avec le brigandage ; il sent que l’homme libre a aussi des devoirs à remplir, et qu’il ne peut jouir de ses droits, qu’autant qu’il ne blessera pas ceux d’autrui. Il sait que la liberté seule ne donne pas les moyens de vivre, et qu’on ne peut les obtenir que par le travail ; il sait que, si les propriétés ne sont pas respectées, le travail le plus assidu n’assurera pas les subsistances. Avec ces idées simples, l’Africain est déjà tout préparé à la vie sociale, au travail volontaire et à la soumission aux lois. Hé ! comment pourrait-il méconnaître ces vérités fondamentales, aujourd’hui qu’il a lui-même sa part des richesses de la terre ?

Deux années de guerre contre les Africains insurgés ont convaincu les propriétaires qu’il était désormais impossible de maintenir l’esclavage. Leurs ateliers étaient déserts, leurs maisons et leurs plantations brûlées et dévastées. La France s’épuisait en hommes et en argent ; et