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tage y avait-il pour eux à passer sous la domination britannique, tandis que la France avait déjà déclaré, depuis plus d’un an, leurs droits à l’égalité civile et politique avec les blancs ? Pouvaient-ils espérer que les colons seraient devenus plus justes, plus humains envers eux, après la lutte qu’ils avaient soutenue contre cette race intraitable, même alors que la France eût reconnu leurs droits ? Ce leurre perfide n’était donc imaginé par ces traîtres que pour désarmer la défense de la colonie dans la personnalité de ces hommes vigoureux qui leur avaient prouvé dans le champ de la politique, comme aux combats, ce dont ils étaient capables.

Mais ne voit-on pas, dans la disposition de l’art. 3, la combinaison à l’aide de laquelle ils se proposaient de décimer, que disons-nous, de détruire la majeure partie des hommes de couleur ? Qui d’entre eux pouvait se croire à l’abri d’être accusé d’avoir provoqué ou exécuté des incendies et des assassinats ? L’immunité que semblait promettre cet article ne tombait-elle pas nécessairement devant ce droit d’accuser ? Les colons n’avaient-ils pas déjà imputé aux hommes de couleur tous les crimes commis jusqu’alors ? On les verra bientôt user, abuser même de ce droit, en accusant devant les autorités anglaises, dans tous les lieux qui vont se soumettre à elles, les hommes de couleur de complots contre la domination britannique, et faire périr ces victimes vouées d’avance à la mort. Ainsi, peu de temps après la prise de possession de Jérémie et des paroisses voisines, cent soixante hommes de couleur furent tous fusillés : c’étaient à peu près les seuls qui y étaient restés, depuis l’expulsion des autres en février 1793.

Nous ne comprendrions pas l’aveuglement de certains hommes de couleur qui participèrent à la trahison des