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Envoyés par la nation, en qualité de commissaires civils à Saint-Domingue, notre mission était d’y faire exécuter la loi du 4 avril, de la faire régner dans toute sa force, et d’y préparer graduellement, sans déchirement et sans secousse, l’affranchissement général des esclaves.

À notre arrivée, nous trouvâmes un schisme épouvantable entre les blancs qui, tous divisés d’intérêt et d’opinion, ne s’accordaient qu’en un seul point ; celui de perpétuer à jamais la servitude des nègres, et de proscrire également tout système de liberté et même d’amélioration de leur sort, Pour déjouer les malintentionnés et pour rassurer les esprits, tous prévenus par la crainte d’un mouvement subit, nous déclarâmes que nous pensions que l’esclavage était nécessaire à la culture.

Nous disions vrai, citoyens, l’esclavage était alors essentiel, autant à la continuation des travaux qu’à la conservation des colons. Saint-Domingue était encore au pouvoir d’une horde de tyrans féroces qui prêchaient publiquement, que la couleur de la peau devait être le signe de la puissance ou de la réprobation ; les juges du malheureux Ogé, les créatures et les membres de ces infâmes commissions prévôtales, qui avaient rempli les villes de gibets et de roues pour sacrifier à leurs prétentions atroces les Africains et les hommes de couleur ; tous ces hommes de sang peuplaient encore la colonie. Si, par la plus grande des imprudences, nous eussions, à cette époque, rompu les liens qui enchaînaient les esclaves à leurs maîtres, sans doute que leur premier mouvement eût été de se jeter sur leurs bourreaux, et, dans leur trop juste fureur, ils eussent aisément confondu l’innocent avec le coupable ; nos pouvoirs d’ailleurs ne, s’étendaient pas jusqu’à prononcer sur le sort des Africains, et nous eussions été parjures et criminels si l’a loi eût été violée par nous.

Aujourd’hui, les circonstances sont bien changées ; les négriers et les antropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l’émigration. Ce qui reste de blancs, est ami de la loi et des principes français. La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril, de ces hommes à qui vous devez votre liberté, qui, les premiers vous ont donné l’exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l’humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N’oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d’eux les armes qui vous ont conquis votre liberté ; n’oubliez jamais que c’est