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Mais il ressort aussi de cette lettre que jusqu’à ce moment, les commissaires civils ne se croyaient pas appelés à proclamer subitement la liberté générale ; le mot d’imprudens dont ils se servent dit toute leur pensée à cet égard. Ils semblent encore vouloir défendre leurs imprudentes déclarations à leur arrivée, concernant l’esclavage, ainsi que leur proclamation du 5 mai : ils reconnaissent, au 17 juillet, que les événemens les entraînent, que bientôt il faudra venir à la liberté générale, et ils disent pour excuse qu’ils ont été forcés de composer avec les premières lois de la nature. Admettons cette excuse, car ces deux hommes avaient de trop bons principes sur le droit de leurs semblables, pour que nous croyions qu’ils étaient insensibles au sort des pauvres esclaves ; et la loi et leurs instructions ne leur permettaient pas, comme fonctionnaires publics, de devancer l’époque de la grande réparation envers ces malheureux. Bientôt après ils se virent contraints de la proclamer. Peut-être l’improbation donnée par Polvérel à la mesure prise par Sonthonax, au 29 août, provient-elle du dérangement que sa proclamation aura produit au plan qu’ils avaient arrêté entre eux, pour l’affranchissement graduel, et que cette lettre à Duvigneau indique.

Notons encore qu’elle prévoit fort bien l’effet de la liberté sur le travail, en présentant d’avance une sorte d’excuse pour ceux qui vont être libres, et qui, n’ayant que des jouissances bornées, n’ont conséquemment que peu de besoins. En effet, quel est le stimulant du travail, si ce ne sont pas les besoins de l’homme ? L’âpreté du climat, une population nombreuse, un plus grand degré de civilisation, l’instruction qui donne la prévoyance, créent ces besoins. Lorsque la civilisation est peu avancée, lorsque les idées sont bornées et que la population est faible, si