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Mais il aurait suffi de l’obligation imposée aux ouvriers des campagnes, en général et en quelque genre de travaux que ce fût, de s’engager par « contrats synallagmatiques » durant n’importe quel temps, pour les porter à envisager le code rural comme créant un ordre de choses contraire à la liberté complète dont ils avaient joui jusqu’alors, comme nuisible à leurs intérêts ; et quand ils se virent contraints à se livrer aux travaux à des heures fixes, à y être assidus, à renoncer aux danses et aux festins durant les jours ouvrables, etc.[1], ils ne considérèrent le code que comme prescrivant le retour, sinon à l’ancien régime colonial, du moins au régime des divers gouvernemens qui avaient adopté des mesures pour les campagnes, fort opposées à celles pratiquées sous Pétion[2].

Le code rural fut donc frappé d’improbation, dès sa publication, aux yeux des masses employées aux travaux de toute nature dans les campagnes. Les officiers ruraux, leurs gardes-champêtres, les conseils d’agriculture, auxquels tant de devoirs étaient imposés sans qu’ils pussent bien comprendre le texte de la loi ; même les conseils de notables, les juges de paix et les commandans de communes, qui

  1. On connaît ce mot d’un cultivateur au sujet des contrats synallagmatiques : « Vous signé nom moi, mais vous pas signé pieds moi. » Ce qui veut dire : « Vous avez porté mon nom sur le contrat, mais vous ne pouvez pas m’empêcher d’aller où je veux. »
  2. « Si c’est un sentiment très-développé chez l’homme que sa prédilection pour tout ce qui lui appartient, son indifférence pour ce qui est possédé par autrui n’est pas moins grande ; ni peines, ni fatigues ne coûtent à un propriétaire pour faire fructifier son champ ; mais lorsqu’il s’agit de cultiver celui d’un autre, tout soin devient pénible. Jusque dans les plus froides régions du Nord où la rigueur de la température fait, à l’homme une loi tout hygiénique du mouvement et du travail, les populations réduites au servage se font remarquer par leur apathie. À plus forte raison en Orient, où le climat invite à la paresse, les peuples sont-ils difficilement assujettis à un labeur ardent et assidu, à moins que l’intérêt ne les stimule. Pour qu’une société se perfectionne, pour qu’elle marche vers le progrès d’un pas calme et soutenu, il faut la placer sur ses bases naturelles et la délivrer des institutions qui violentent tous es instincts. » L’Egypte contemporaine, par M. Paul Merrnau, page 46.