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Cette manifestation de sentimens hostiles à son pouvoir, ou seulement au général Inginac et à son fils, ne pouvait qu’exciter en lui un profond mécontentement. Il était évident que les opposans de la capitale avaient saisi cette occasion, pour essayer de leurs moyens d’action sur l’esprit public et le pousser dans la voie d’une révolution, par une ridicule imitation des événemens passés en France l’année précédente. Rentré en ville dans l’après-midi du samedi, Boyer ne dit et ne fit rien qui pût déceler ses intentions ; il les réserva pour éclater le lendemain, jour d’audience générale où les fonctionnaires publics, les magistrats, les sénateurs, etc., se rendaient habituellement au palais. Il alla passer l’inspection des troupes de la garnison sur le champ de Mars : à son apparition avec son état-major, elles firent retentir les cris de : Vive le Président d’Haïti ! probablement stimulées par les soins du général Lerebours qui l’aura recommandé aux chefs de corps.

Quoi qu’il en soit, c’était le début de l’une de ces scènes ou de ces séances orageuses qui se passèrent si souvent, trop souvent même au palais de la présidence, sous le gouvernement de Boyer ; car, en toutes choses, l’abus doit être toujours évité. Mieux vaut qu’un chef d’Etat fasse sentir le poids de son autorité, avec ce calme de la raison qui porte aux résolutions telles que Pétion savait en prendre irrévocablement, plutôt que d’éclater avec colère, de parler beaucoup, de tenir les discours les plus sensés sans qu’il en résulte des mesures d’une efficacité frappante. Dans la colère, on s’expose à dire des choses qui offensent les amours-propres, qui irritent les passions, qui désaffectionnent : au contraire, punissez avec sang-froid, mais avec justice, et vous convaincrez le coupable lui-même, s’il est doué de quelque raison, sinon il saura ce qu’il peut atten-