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vengeance ; son plaisir était ensuite de se faire servir à table par ces malheureux dont les chairs tombaient en lambeaux.

» Tel autre cassait une jambe à tout nègre coupable de marronnage, et le laissait sur la place jusqu’à ce que la gangrène exigeât l’amputation. »


Dans un écrit publié en janvier 1791 par Julien Raymond[1] et portant pour titre : Observations sur l’origine et les progrès du préjugé des colons blancs contre les hommes de couleur, ce mulâtre confirme toutes les assertions du vénérable Grégoire.

Il fait remarquer que dans l’origine de l’établissement de la colonie de Saint-Domingue, les premiers colons (connus sous les dénominations de boucaniers, de flibustiers, d’engagés), gens de basse extraction sociale, ne pratiquaient pas ce préjugé de la couleur, parce que, dépourvus

  1. Julien Raymond, homme de couleur, avait été envoyé en France, où il reçut une brillante éducation. De retour à Saint-Domingue, il fut en butte à des vexations de la part de quelques blancs qui, moins instruits que lui et jaloux de son mérite, se plurent à lui faire sentir le poids du préjugé de la couleur. M. de Bellecombe était alors gouverneur général : cet homme juste et généreux, qui venait de garantir aux nègres fugitifs établis dans la montagne de Bahoruco, une liberté acquise par leur courage, engagea J. Raymond à retourner en France pour y plaider la cause de sa classe. Riche propriétaire, il se dévoua à cette œuvre et se rendit à Paris, en 1784 ; et bientôt M. de Bellecombe, relevé de ses fonctions à Saint-Domingue, y fut aussi. Ce général le présenta au maréchal de Castries, alors ministre de la marine et des colonies, à qui J. Raymond remit un mémoire où il exposait la condition avilissante de la classe des affranchis. La révolution étant survenue, il se joignit à Vincent Ogé et aux autres hommes de couleur et aux Amis des noirs, à Brissot surtout, pour faire admettre les réclamations des affranchis à l’assemblée nationale : il fit beaucoup d’écrits à cette époque, dans le but qu’il poursuivait. C’était néanmoins un esprit systématique, ne connaissant que les formes légales, recommandant sans cesse aux affranchis de prendre patience et de tout attendre de la justice et de la générosité de l’assemblée nationale, ne comprenant peut-être pas la portée de la révolution qui s’opérait à Saint-Domingue. Il a joué un rôle politique, et nous en parlerons encore.