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point à réparer le temps perdu… Il y a des hommes barbares, en qui la cruauté est fortifiée par l’avarice ; et l’avarice ne prévoit rien…

» Si les négresses se font souvent avorter, c’est presque toujours la faute de leurs maîtres ; ils n’ont pas le droit de les en punir, parce qu’il n’y a que l’excès de la tyrannie qui puisse étouffer en elles les sentimens maternels…

» J’ai vu 53 nègres, négresses, négrillons et négrites de la même famille ; le père vivait encore, il était né dans le Sénégal : il avait 87 ans d’esclavage ; il avait eu 22 enfans de 3 négresses qui toutes étaient mortes, et commençait à voir sa quatrième génération.

» En exécution de l’édit de 1685, les missionnaires Jésuites (établis dans la partie du Nord) avaient entrepris de marier légitimement tous les nègres esclaves ; mais cette méthode, qui ôtait au maître la faculté de diviser ses esclaves, nuisait au droit de propriété et à la soumission nécessaire. Un mauvais nègre corrompait une famille, cette famille tout l’atelier, et la conspiration de deux ou trois familles pouvait détruire les plus grandes habitations, y porter l’incendie, le poison, la révolte.

» Les nègres sont superstitieux et fanatiques ; il faut, autant qu’il est possible, ne point leur donner d’occasion de se livrer à ces vices dangereux. Les Jésuites ne se conduisaient pas dans cette vue ; ils prêchaient, attroupaient les nègres, forçaient les maîtres à retarder leurs travaux, faisaient des catéchismes, des cantiques, et appelaient tous les esclaves au tribunal de la pénitence : depuis leur expulsion, les mariages sont rares, il ne s’en fait plus parmi les nègres des grandes habitations. On n’y permet plus à deux esclaves de séparer pour toujours leur intérêt et leur salut de celui de l’atelier ; plus de prières pu-