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nourrissent à peine ; ils ne les habillent point, et leur arrachent encore l’argent que dans le silence de la nuit elles acquièrent par des prostitutions.

» Il est cependant quelques honnêtes gens, même dans les plus grandes villes ; mais ils ont bien de la peine à conserver leur probité au milieu de tant de gens qui n’en ont point…

» Les Français envoyés de la cour pour remplir différens emplois dans la colonie, forment, pour ainsi dire, une classe à part : ils se persuadent que les nègres, méchans par instinct, plus que par esclavage, doivent être conduits comme des animaux malfaisans dont on veut tirer quelque utilité. Le défaut d’intelligence des différens idiomes que les nègres employent, contribue à leur inspirer une défiance cruelle, et c’est cette haine des esclaves qui fait naître dans les esclaves la haine de leurs maîtres… Aveuglés par l’orgueil et la présomption, ils croyent tout savoir, et au lieu de s’instruire avec docilité de ce qui est particulier à la colonie, ils s’érigent en petits tyrans chacun dans leur place…

» Mais avant de reconnaître les objets sur lesquels ils veulent dominer, il est difficile qu’ils n’abusent pas de ce qu’on leur a donné de pouvoirs ; ils ont devant eux l’exemple du mal, ils s’accoutument à le croire permis. Ces vérités affligeantes prouvent qu’on ne devrait admettre dans les différentes places qui peuvent se rapporter à l’administration ou au maintien de la colonie, que des créoles ou des sujets anciens dans le pays… La colonie de Saint-Domingue exige des lois très-étendues et très-prévoyantes. En général, les habitans de cette colonie sont violents et irascibles ; ils sont tourmentés par toutes sortes de passions…