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Mais cette époque sanglante nous montre aussi les efforts incessans de la classe des affranchis, pour parvenir à l’égalité civile et politique avec les dominateurs de la colonie ; les tentatives infructueuses de quelques-uns ; l’organisation intelligente des autres ; leur levée de boucliers ; leurs succès sur le champ de bataille ; leurs succès non moins grands dans le champ de la politique ; leurs fautes, leur inexpérience compromettant ces succès ; leur habileté à réparer leurs torts ; et enfin, les crimes dont se souillèrent une partie d’entre eux dans leur lutte désespérée.

Ensuite, nous voyons également les esclaves manifester sur divers points de la colonie leur désir de secouer le joug qui les opprime. Nous les voyons se lever enfin, le poignard d’une main, la torche de l’autre, frappant impitoyablement leurs maîtres ; embrasant leurs somptueuses demeures et leurs riches plantations, afin de les contraindre, par ces dévastations, à être justes, à leur accorder la liberté naturelle, objet de tous leurs vœux, ou tout au moins quelques jours de repos dans la culture de cette terre qu’ils arrosent de leur sueur et de leur sang depuis deux siècles.

À la fin de 1792, Saint-Domingue ne présente plus qu’une colonie ruinée en grande partie, marchant chaque jour vers son anéantissement total. Trois années sont à peine écoulées depuis le commencement de sa terrible révolution, que déjà les victimes dans toutes les classes d’hommes se comptent par milliers. Le sang humain coule abondamment sur les échafauds et dans les combats ; l’instinct abominable de la destruction semble seul animer toute cette population, naguères si paisible, si laborieuse, si industrieuse.