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était comprise la surveillance des ministres du culte catholique, le seul admis dans la colonie, quoique ceux-ci fussent placés sous la direction de préfets apostoliques. Ces ministres formaient deux communautés ; l’une, les capucins, desservait les cures de la partie du Nord ; l’autre, les dominicains, desservait les cures des parties de l’Ouest et du Sud : ces derniers possédaient des propriétés foncières et des esclaves. Des esclaves ! des hommes réduits en servitude, au profit des ministres d’une religion charitable dont la bénigne influence a tant contribué à briser les fers de l’espèce humaine, à la civilisation des nations en général !… Aussi ces ministres du culte catholique donnaient-ils, à Saint-Domingue, le pernicieux exemple du dérèglement des mœurs dont nous aurons à parler bientôt[1].


À ce tableau, fidèlement tracé d’après les écrits que nous possédons, joignons cette observation essentielle sous le rapport politique et moral : c’est que, tandis que les colonies espagnoles, portugaises et anglaises, offraient

  1. En 1790, le préfet apostolique de l’Ouest et du Sud publia un écrit où il exposait la situation financière et les ressources de son ordre : il y avouait que cet ordre possédait 250 esclaves. On y lit ces étranges lignes, ou plutôt ces propositions toutes naturelles, toutes logiques, en raison de la participation des prêtres au crime de l’esclavage : « Cependant, dit-il, l’éloignement du cimetière dans toutes les paroisses, paraît devoir nécessiter ou du moins favoriser une différence entre les enterremens des blancs et ceux des gens de couleur libres. Il convient sans doute, à tous égards, que les blancs, sans exception, soient enterrés avec le cérémonial ordinaire. Mais si ce cérémonial est accordé également à tous les gens de couleur, il y aura des jours où le curé et les vicaires ne pourront suffire à la fatigue des voyages à faire au cimetière… Il serait possible, en prenant en considération le motif dont on a parlé, de restreindre le cérémonial ordinaire des enterremens pour les gens de couleur… »

    Et ce prêtre qui écrivait ces lignes, était le père avoué de plusieurs mulâtres qu’il avait eus de sa cohabitation avec des négresses esclaves de sa communauté ! C’était l’abbé Dugué, préfet apostolique des dominicains.