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développé de nouveaux. Chaque parti s’est divisé et subdivisé en différens partis qui, se croisant et se choquant dans tous les sens, semblent ne s’accorder que pour précipiter à l’envi cette belle et florissante contrée vers sa destruction, avec une rapidité d’autant plus effrayante que l’exemple du désordre a entraîné une grande partie des ateliers de noirs au soulèvement et à tous les excès du brigandage le plus effréné. Les hommes de couleur libres ont revendiqué les droits de l’égalité politique, ils se sont prévalus contre les blancs, et les blancs se sont prévalus contre eux à leur tour, du quelques lois dont ils s’opposent mutuellement les dispositions diverses. Des camps se sont formés, des concordats locaux ont été passés, violée, et ensuite renouvelés ; des coalitions de blancs et d’hommes de couleur se sont établies dans les campagnes, contre d’autres coalitions de citoyens blancs, dans les villes ; le sang a coulé des deux parts avec profusion, à la honte de l’humanité, et à celle des vainqueurs ainsi que des vaincus. Toute la plaine de l’Est et du Nord a été brûlée, dévasté ; on y est en guerre continuelle contre les noirs révoltés et contre les brigands qui les dirigent. Les mêmes fléaux se sont plus ou moins étendus sur toutes les parties de la colonie. L’anarchie y est à son comble, les tribunaux y sont réduits au silence ; l’autorité y est sans force ; les lois y sont sans vigueur ; les moyens de subsistance y sont rares, difficiles et précaires. Les maladies emportent ceux que le fer et la faim avaient épargnés ; l’industrie reste sans action, les cultures sont interrompues ; le commerce national et étranger se retire de ces plages désolées ; le propriétaire, le gérant désertent leurs propres foyers : les contributions locales ont cessé d’y être perçues, et le faix des dépenses énormes que nécessite un état de choses si déplorable pèse en entier aujourd’hui sur la métropole qui n’en supportait ci-devant qu’une légère portion. De toutes parts Saint-Domingue pousse des cris gémissans vers la France, en la conjurant de lui faire passer des secours, des forces et de l’argent.

Tel est en abrégé le tableau malheureusement trop fidèle de la situation présente du pays où les sieurs Polvérel, Sonthonax et Ailhaud, commissaires nommés par le roi pour l’exécution de la loi du 4 avril dernier, vont travailler au retour de la paix, de l’ordre et de la prospérité publiques. Fut-il jamais de mission plus grande plus importante et plus auguste ! Sans doute elle est environnée d’écueils. Sa Majesté n’entend point dissimuler aux sieurs commissaires les obstacles qu’ils auront à surmonter ; on ne doit rien cacher au véritable courage : mais elle compte sur leur patriotisme et sur leur zèle. Elle s’associera