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Pastoret, il est vrai, avait dit à l’assemblée : « Vos comités méditent les moyens de couper les dernières racines de l’esclavage. » Peut-être entendait-il parler de l’abolition de la traite, comme mesure essentielle à l’abolition de l’esclavage, et à laquelle les Amis des noirs songeaient depuis la formation de leur société. Peut-être faisait-il allusion à l’émancipation graduelle qu’ils avaient également conçue en faveur des esclaves, et qu’adoptèrent Ogé, J. Raymond et presque tous les hommes de couleur éclairés, comme mesure indispensable pour amener la liberté générale des nègres, sans secousses, sans commotion violente[1].

Quoi qu’il en soit, après la révolte des nègres dans le Nord, après le refus fait par l’assemblée coloniale, d’affranchir les principaux chefs qui offraient, moyennant cette faible concession politique, de faire rentrer les masses dans les liens de la servitude ; la guerre continuant à les tenir sur pied, n’était-il pas évident pour tous les hommes sensés, que les esclaves parviendraient à conquérir eux-mêmes leur liberté par la force des armes ? Et ces hommes justes qui faisaient admettre les mulâtres et les nègres libres à l’égalité politique avec les blancs, pouvaient-ils ne pas être aussi justes envers les malheureux qui, courbés depuis près de deux siècles sous le joug affreux et humiliant de l’esclavage, avaient fait la prospérité des colonies ? Du moment qu’on ne pouvait plus leur dénier la qualité d’hommes, n’avaient-

  1. Voyez une lettre curieuse de Page lui-même à ce sujet, dans le 2e volume des Débats, pages 223 et 224, et ce qu’il dit encore à la page 225. Ce colon haineux avait fini, alors, par adopter l’idée de l’affranchissement graduel. Dans un autre endroit, il émit l’opinion d’une indemnité à donner aux maîtres dépossédés de leurs esclaves. On ne peut que regretter qu’un homme aussi éclairé n’ait pas été animé de meilleurs sentimens.