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l’opinion, de lui donner le change sur leurs propres forfaits, en imputant des horreurs aux noirs.

Mais, quelles qu’aient été ces horreurs, les colons ne sont-ils pas encore heureux que les hommes de la race noire n’aient pas eu à leur tête, à cette époque, des chefs comme la France en eut depuis en 1793 ? On peut juger de ce que nous disons ici par le propos atroce que Billaud-Varennes adressa à Pétion, de qui il reçut des secours et l’hospitalité qu’il ne pouvait trouver nulle part, des blancs comme lui. Chassé, après la restauration des Bourbons en France, de Cayenne où il avait été déporté, poursuivi au Mexique et aux États-Unis, à cause de ses antécédens, trouvant enfin un asile sur le territoire de l’ancien Saint-Domingue, il dit à Pétion : « La plus grande faute que vous ayez commise dans le cours de la révolution de ce pays, c’est de n’avoir pas sacrifié tous les colons jusqu’au dernier. En France, nous avons fait la même faute, en ne faisant pas périr jusqu’au dernier des Bourbons[1]. »

Non ! ainsi que Pétion, n’approuvons pas ces paroles sanguinaires de l’ancien membre du comité de salut public. Plaignons-nous des injustices, des excès, des crimes des colons ; signalons-les à la postérité, afin qu’elle compare leur conduite à celle de leurs victimes privées de lumières, opprimées depuis des siècles sous un joug de fer, et cependant donnant à ces oppresseurs l’exemple de sentimens plus conformes aux principes du droit des gens, à la nature de l’homme. Laissons à ce

  1. Billaud-Varennes est mort au Port-au Prince, en 1819. Il recevait une pension du gouvernement de la République d’Haïti, qui ne voyait en lui qu’un homme à qui il fallait un asile. Il était dans le dénûment. Billaud-Varennes ignorait que le chef de ce gouvernement avait sauvé plusieurs colons en 1804.