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à procurer à des hordes incivilisées un droit qui leur deviendrait infiniment dangereux, et qui entraînerait indubitablement l’anéantissement de la colonie ; que si les propriétaires avaient été tous sur leurs habitations, la révolution n’aurait peut-être pas eu lieu. »

Si ce ne sont pas là textuellement les paroles que Jean François a prononcées, c’en doit être le sens probablement ; et l’on pourrait douter de la véracité de Gros, si toute la conduite postérieure de ce généralissime n’avait pas prouvé, de même que celle de Biassou, que ni l’un ni l’autre n’avaient cette élévation d’âme qui eût pu les rendre les bienfaiteurs de la classe des esclaves, leurs frères. Car, en outre de leurs dispositions à faire rentrer ces masses sous le joug de l’esclavage, moyennant leur affranchissement personnel et celui d’un certain nombre d’autres chefs sous leurs ordres, notamment Toussaint Louverture, ces deux généraux ont fait vendre, à leur profit personnel, des hommes, des femmes, des enfans noirs, aux Espagnols qui les transportèrent soit à Cuba, soit à la Jamaïque. Vainement voudrait-on, pour les disculper de ces crimes, arguer de leur ignorance ; elle n’était pas telle qu’ils ne pussent discerner le bien du mal, et savoir que contraindre leurs frères à rentrer dans l’esclavage, ou les vendre pour être transportés sur la terre étrangère, c’étaient des crimes de leur part.

Quant à Toussaint Louverture, dont nous aurons occasion d’examiner la conduite politique plus tard, il eût participé à l’affranchissement personnel demandé pour les chefs, et contribué à remettre le grand nombre dans l’esclavage, si les colons avaient accepté leurs