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Ce que peut tout un peuple, un homme ne le peut-il pas aussi ?

Les colons firent à Ogé un reproche outré de son projet de lettre au gouverneur espagnol ; mais il n’appartient pas aux tyrans, qui ne savent que proscrire et tuer, non, jamais il ne leur appartiendra d’apprécier ce sentiment vivace qui attache l’homme à son pays natal, le citoyen à sa patrie.

Du reste, ce moyen qu’imagina Ogé pour échapper à ses persécuteurs n’était pas sérieux ; et Faura, qui a émis une opinion si bien raisonnée en cette circonstance importante, l’a démontré dans son admirable argumentation. Ogé était trop enthousiaste de la révolution et de la nation française, pour avoir conçu sincèrement le désir de devenir le sujet du roi d’Espagne[1].


Le gouverneur Don Joachim Garcia procéda lui-même à l’interrogatoire des fugitifs, dévoués d’avance aux plus horribles supplices. Cette procédure, qu’il fît spontanément, pour préparer celle à laquelle ces infortunés allaient être bientôt soumis dans la partie française, commencée le 23 novembre par l’interrogatoire de Jean-Baptiste Chavanne, arrivé le premier à Santo-Domingo, fut achevée le 12 décembre par l’interrogatoire de Jacob Ogé. Diverses confrontations eurent lieu entre V. Ogé et plusieurs de ses compagnons. Ses réponses, comme celles des autres, n’exprimaient aucune crainte, ni même aucune haine contre les blancs de la colonie française ; ils avouèrent tous le but de leur prise d’armes, qui était de

  1. Voyez l’énergique défense que Sonthonax a présentée en faveur d’Ogé, dans le tome 3 des Débats, page 47 et suivantes. Il a soutenu le droit d’Ogé et de ses compagnons de changer de patrie, pour fuir la tyrannie des colons.