Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 1.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.

seraient pas arrivés. Ogé sentait que si les hommes de couleur parvenaient à jouir des mêmes droits politiques que les blancs, ils influenceraient facilement les résolutions de toutes les assemblées de la colonie, pour améliorer le sort des esclaves et parvenir graduellement à leur émancipation complète. Le langage qu’il tient à l’assemblée provinciale du Nord, après son discours au club Massiac une année auparavant, prouve, non son égoïsme comme propriétaire d’esclaves, mais le raisonnement d’un homme qui cherche à désarmer les colons de leurs préventions, par leur propre intérêt. Car, enfin, quelle était la cause prépondérante du régime colonial ? N’était-ce pas l’intérêt qu’avaient les blancs à posséder des esclaves dont le travail les enrichissait ?


« Il est vrai, dit Garran, qu’Ogé pensait en 1790, avec les philosophes les plus respectables, et les Amis des noirs eux-mêmes, qu’on ne pouvait pas donner tout d’un coup la liberté aux esclaves ; il ne croyait pas que cette tentative fût alors praticable ; et il fallait toute l’étendue de notre révolution pour que ce grand acte de justice naturelle pût être effectué si promptement, tant les plus horribles iniquités deviennent difficiles à détruire en s’invétérant. Mais Ogé était bien éloigné de méconnaître les droits des nègres, et de vouloir, comme les deux assemblées coloniales, que leur éternel esclavage fût la base de la constitution des colonies : il avait senti la nécessité d’adoucir leur sort, dans le mémoire qu’il eut l’imprudence de présenter au club Massiac[1].

  1. Rapport de Garran, t. 2, page 55. Dans la séance du II floréal an III (Débats, tome 5, p. 157.), Sonthonax a dit de V. Ogé, qu’il est mort pour la liberté de ses frères (les hommes de couleur), et même pour la liberté des