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ses ordres que deux à trois cents hommes, quelle que fût sa confiance en lui-même, ne pouvait-il pas, ne devait-il pas parler au nom de cette classe tout entière, plutôt qu’en son propre nom ? Pourquoi a-t-il omis les autres commissaires qui, en France, concoururent avec lui à réclamer contre les dispositions du décret du 8 mars ? Nous aurions aimé, de sa part, un langage plus modeste, moins empreint de personnalité. Nous l’en excuserions, s’il avait adopté la proposition de Chavanne : à la tête de milliers d’hommes, pouvant imposer la loi à toute la classe blanche et dicter ses volontés, il eût eu l’approbation, la sanction de l’histoire. Ogé avait évidemment de l’ambition, et ce n’est pas ce que nous blâmons en lui ; car, sans une noble ambition on ne fait rien d’utile, rien de grand. Mais cette passion des âmes ardentes eût été plus louable en ce jeune homme, si, à ce moment décisif, il se fût placé à la tête de tous les hommes de la race noire, pour les mener à la liberté et à l’égalité politique.

Toutefois, en faisant cette déclaration de guerre qui semble, au premier abord, exclure tout sentiment de sympathie pour les esclaves, Ogé était loin d’être contraire à leur émancipation ; il restait seulement conséquent avec la mission qu’il s’était donnée ; il restait fidèle, peut-être trop fidèle aux antécédens de sa conduite en France, aux engagemens qu’il avait pris avec J. Raymond, dominé par les mêmes idées, avec les Amis des noirs qui avaient facilité ses réclamations. Dans sa fougueuse ardeur, il ne put croire que les colons auraient poussé l’injustice et l’imprévoyance, au point de persévérer dans leur résistance à reconnaître aux hommes de couleur les droits de citoyens actifs ; car, malgré l’ambiguïté des décrets, s’ils avaient voulu céder, les désastres qui s’en sont suivis, ne