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vitablement, faciliter les prétentions des classes colorées, par les conflits qui naîtraient dans son sein, bien que son intérêt dominant fût de les contenir dans la sujétion au régime colonial.

Il était également naturel que la classe des affranchis, que nous désignerons désormais par la dénomination d’hommes de couleur, plus éclairée que celle des esclaves, ayant un intérêt matériel distinct par l’effet de ce régime odieux, cherchât à profiter de la révolution de la mère-patrie pour améliorer sa position sociale et politique, trop humiliante, trop avilissante, pour des hommes qui possédaient des lumières, des capitaux et des propriétés.

Quant aux malheureux esclaves, courbés sous le joug des maîtres de toutes couleurs qui profitaient de leur labeur, plongés dans une profonde ignorance, ils n’avaient en quelque sorte à attendre que de la Providence une amélioration à leur sort affreux, quoique des actes réitérés, mais isolés, individuels, eussent prouvé en maintes occasions que de leur sein pouvaient sortir des chefs audacieux, énergiques, pour les diriger dans la conquête des droits qu’ils tenaient de la nature, comme leurs maîtres.

Ce secours providentiel ne leur manqua point ; il fut le résultat de la lutte des passions orgueilleuses et des intérêts égoïstes qui animèrent la classe supérieure de la société coloniale. En vain a-t-elle essayé de profiter seule de la grande commotion produite par les lumières du xviiie siècle ; cette révolution qui a régénéré l’empire français en appelant les masses en Europe, au partage de tous les droits, de tous les biens conquis par elle, cette révolution a produit les mêmes effets à Saint-Domingue que dans sa métropole.