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LE LIEUTENANT MARQUISET.

Laissant le train continuer sa marche, je prends la route de Luxeuil, j’arrive à la grille de la demeure que je connaissais si bien, et je trouve le maître du logis se préparant au départ.

— Eh bien ? lui dis-je sans autre formalité.

— Eh bien ! répliqua-t-il sans étonnement de ma brusque apparition.

Il est des heures où l’on ne s’étonne de rien et la première poignée de main tient lieu de toute explication. On sent qu’il n’y a pas de minute à perdre. Je ne fis donc que demander :

— Puis-je partir avec vous ?

— Si vous voulez, je vais à Luxeuil. Nous causerons en route. En attendant, mettons les armes en lieu sûr. (Et comme je le regardais.) Oui, mes armes. Cela vous étonne, mais c’est comme cela. Ma compagnie qui a dix fois plus d’hommes que de fusils, ne peut entrer en campagne sans armement, sans équipement. Si on continue à refuser le nécessaire, ses officiers n’ont plus qu’à s’en aller, car les Prussiens arrivent et commenceront certainement par leur mettre la main au collet. Nos démarches à Besançon n’ont abouti à rien. On nous a traités presque en importuns sans s’inquiéter de cette situation fausse.

Une demi-heure après, nous prenions à Luxeuil M. de Perpigna, capitaine, et M. Thierry, qui était avec Marquiset, lieutenant de la compagnie ; puis nous roulions dans la direction de Lure pour tenter un dernier effort auprès du sous-préfet.

La petite ville semblait abandonnée. Sans avoir rencontré personne, nous frappons à la porte du cabinet du sous-préfet, jeune homme tout rond dans lequel je reconnus un ancien auditeur au Conseil d’État avec lequel j’avais fait le whist à Paris. Après avoir écouté poliment les doléances de mes compagnons, il se leva en plongeant délibérément les mains dans ses poches.

— Je comprends bien, mais je vous le demande, que voulez-vous que j’y fasse ? J’aurais ici vos chassepots, vos cartouches et le reste que je les donnerais sur-le-champ, et de bon cœur. Mais je n’ai rien. Moi aussi j’attends les Prussiens, car on me les annonce…

— Sans doute, Monsieur le Sous-Préfet, mais vous n’êtes pas franc-tireur.