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est sans cesse en encorbellement. Dans cette fissure, le jour pénètre à peine, aussi le froid a-t-il été vif. D’immenses stalactites de glace pendent à la voûte, la paroi est revêtue de cristal, d’autres girandoles apparaissent dans les roches sur la rive opposée ; le torrent jette parfois d’étourdissantes rumeurs, il fait d’incessantes cascades. Tout cela : glace, neige, chutes, roches aux assises cyclopéennes, tunnels dans lesquels on pénètre brusquement, forme un spectacle inoubliable. Ah ! je ne regrette plus maintenant d’avoir rencontré l’hiver !

Plus on descend, plus les roches sont hautes, plus les fissures sont étroites et profondes. Cependant l’industrie a trouvé de la place. Une scierie a profité de l’abri offert par un gigantesque rocher en surplomb pour installer ses ateliers. Plus bas, près d’une autre scierie, abandonnée, une maison grise et sordide est collée à la roche qui la recouvre en partie. Elle est habitée par une veuve subsistant misérablement de vin ou du café vendu aux charretiers et du lait des chèvres qui vivent en hiver avec des feuilles de hêtre, appelé fayard en ce pays. C’est la nourriture du bétail dorant la mauvaise saison. Jadis la feuille de fayard fournissait la literie dans la montagne, mais les sommiers élastiques la remplacent peu à peu.