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on a voulu établir votre compétence dans l'ordre judiciaire. Je dirai seulement devant vous, que si le despotisme personnifié vient jamais sur la terre, il n'y viendra certainement pas dans cette tribune tenir un autre langage que celui que nous avons entendu sur la réunion et la confusion de tous les pouvoirs.

« Mr le comte de Mirabeau n'a pas pu méconnaître l'évidence de cette doctrine sur le partage et l'incompatibilité des pouvoirs dans tout gouvernement bien ordonné ; mais il nous a dit que,si l'Assemblée nationale n'était pas un tribunal, elle avait du moins ce droit de juridiction inhérent à toutes les compagnies, en vertu duquel elles jugent tous les délits qui se commettent dans leur sein. Il a imputé aux magistrats Bretons, comme un crime punissable, la confiance avec laquelle ils nous ont annoncé que la postérité approuverait leur résistance, il a prétendu que ces magistrats s'étaient reconnus eux-mêmes coupables, en nous déclarant que leur devoir et leur conscience ne leur permettaient pas d'obéir à la loi. Il nous a tracé l'effrayante peinture des proscriptions qui menacent le clergé et la noblesse de Bretagne, si ces deux corps résistaient plus longtemps au vœu populaire de cette Province. Enfin, après un long circuit de menaces, d'invectives, de calculs erronés et de raisonnements sophistiques, il a conclu que notre décret devait punir les magistrats Bretons du délit verbal qu'ils ont commis au milieu de cette Assemblée, en les privant de tous les droits de citoyen actif ; et que, pour faire juger la forfaiture et le crime de lèse-nation dont ils se sont rendus coupables par le refus de l'enregistrement, il fallait les renvoyer au Châtelet, à qui l'Assemblée a attribué la connaissance de tous les délits de ce genre. C'est ainsi que l'honorable membre a cru, en aggravant la punition, modifier l'opinion qu'il réfutait. Il est digne de votre sagesse et de votre justice d'approfondir les principes et les assertions du préopinant ; et puisque j'ai l'honneur de parler immédiatement après lui, c'est surtout à moi qu'appartient cette discussion. Je demande d'abord avec surprise, Messieurs, ce que pourrait avoir de commun la juridiction de l'Assemblée nationale sur ses membres, avec le droit de juger nos concitoyens qui sont mandés à la barre. Cette forme d'intimer est absolument inouïe dans l'histoire des États généraux ; mais, fut-elle admise dans notre droit public, suffirait-il donc aux Français de comparaître devant nous, pour devenir nos justiciables ? Une simple juridiction de discipline et de police que toute assemblée doit exercer sur ses membres pour le maintien de l'ordre, se transformerait-elle tout à coup en une attribution ou plutôt en une dévolution légale ; et nous déférerait-elle la faculté de juger tous ceux à qui nous accordons la liberté de nous parler ?

« Je dirai plus, Messieurs : nos concitoyens, cités à la barre,nous exposeraient leurs opinions avec cette plénitude de confiance qu'inspire la loyauté des représentants de la nation, et nous épierions perfidement leurs paroles sur nos propres foyers, pour en faire des délits nationaux ! qu'est donc devenue l'antique générosité de la nation française, si cette enceinte sacrée ne lui sert plus d'asile ? Où est le despote, où est le tyran ombrageux et farouche qui, ne pouvant découvrir un crime dans un interrogatoire, a jamais abandonné le fond d'une accusation pour faire des réponses mêmes des accusés la base d'un procès criminel ? Tout Français appelé pour se justifier, qui entre innocent dans ce sanctuaire, ne saurait en sortir coupable, quand on ne peut lui imputer qu'un noble et digne orgueil ; et si sa conduite est à l'abri du reproche, son apologie ne doit jamais lui attirer aucun châtiment. Comment ose-t-on faire un crime aux magistrats Bretons de la confiance avec laquelle ils ont osé se prévaloir de la justice anticipée que l'Histoire rendra un jour à leur courageuse fidélité ? Il n'appartient qu'aux scélérats, que le remords accuse, de douter de cette réparation que la postérité promet d'avance à la vertu malheureuse. Tout homme vertueux, qui jouit du bon témoignage de sa conscience, se console de l'oppression par le suffrage incorruptible des générations futures au jugement desquelles il cite ses contemporains. Cette seconde conscience de la postérité n'est que l'écho de la première ; et il faut bien permettre à la vertu qui s'immole au devoir, de se reposer, du moins, sur l'espérance de la gloire. On fait dire à ces magistrats-citoyens que leur honneur et leur conscience ne leur permettaient pas d'obéir à loi (1). Jamais, non, jamais ils ne se sont abaissés à une excuse si peu digne de la bonté de leur cause. Ils auraient énoncé une proposition évidemment absurde, s'ils avaient mis leurs consciences particulières en opposition avec la loi, qui est la conscience publique ; mais ils n'ont rien dit, ils n'ont rien pensé de pareil, et s'ils s'étaient bornés à vous présenter de tels moyens de justification, que leur généralité rend inadmissibles, ils n'auraient trouvé parmi nous ni accusateurs, ni apologistes. Il n'eut fallu que les plaindre et les juger. Est-il donc permis, Messieurs, de se jouer de son talent avec assez de légèreté, pour donner à des inductions exagérées l'autorité d'une citation littérale ? Est-il permis d'accuser, de dénoncer, de calomnier publiquement des hommes dont on croit et dont on veut être le juge ? Est-il permis enfin de tordre leurs expressions pour en extraire du venin ?


« Voici la fin de ce discours éloquent et mesuré, tel qu'il a été prononcé, avec une fermeté si noble et si calme, par Mr le Président [Jean Baptiste Le Vicomte] de La Houssaye. On n'y trouvera aucune trace des assertions que lui a imputées Mr le comte de Mirabeau  : « Jusqu'à présent, Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous parler au nom de tous ; qu'il me soit permis de me féliciter d'être arrivé à la place que j'occupe en ce moment : elle honorera mon nom et celui des vertueux collègues qui partagent mon sort. La postérité apprendra avec attendrissement qu'il exista des magistrats Bretons assez courageux, assez fermes dans leurs principes, assez remplis de l'amour de la patrie, pour dévorer en silence des événements de toute espèce, plutôt que d'étouffer le cri impérieux de l'honneur et de la conscience. L'Histoire apprendra que vingt et trente années de magistrature sans reproches n'ont pu garantir du soupçon des juges intègres et fidèles, mais que leur justification est devenue complète, dès que leur voix a pu se faire entendre.

« Un jour viendra, Messieurs, où les Bretons désabusés rendront hommage à la pureté de nos motifs et de nos principes. C'est alors que ces braves compatriotes, nous retrouvant dans la classe paisible et tranquille des citoyens, se hâteront de nous confier la défense de leurs vrais intérêts et de nous associer aux travaux de vos successeurs. Heureux, Messieurs, si une santé, épuisée par des fatigues et des veilles toujours consacrées au service du Roi et de la patrie, me permettait l'espoir de prolonger encore une pénible existence ! Quelque puisse être mon sort, je prouverai jusqu'au dernier instant de ma vie que je fus toujours digne de porter le titre précieux de sujet fidèle et de vrai citoyen. »


« L'inventeur