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lorsque les Parlements furent mis en vacance extraordinaire au mois de mai 1788, la commission intermédiaire des États de Bretagne s'opposa légalement à l'enregistrement de cette loi, qui attaquait l'ancienne Constitution de la Province il ne leur était donc plus permis de supposer que cette interdiction de fait fût étrangère au droit public de leur Pays. Ces magistrats ne pouvaient pas être juges dans leur propre cause, et un serment particulier les liait à la défense des franchises du peuple Breton. Votre grand objet, Messieurs, avait été de proroger les vacances des Parlements. Les magistrats de Rennes, à qui votre décret n'était pas encore signifié légalement a l'époque ordinaire de leur rentrée, se sont contentés d'une simple notoriété de fait, pour respecter votre décision ; et ils n'ont pas repris leurs fonctions à la Saint-Martin. Les vacances de ce Parlement ont donc été prorogées ; mais la Chambre des vacations n'a point été rétablie, et elle ne pouvait pas l'être. Ce ne fut que le 23 du mois de novembre que les magistrats, qui avaient cessé d'y siéger depuis cinq semaines, reçurent des lettres de cachet qui les rappelaient a Rennes, sans leur indiquer l'objet de cet ordre.

« Il paraîtra peut-être extraordinaire que les représentants de la nation française, qui se sont déclarés avec tant d'énergie les protecteurs de la liberté individuelle de tous les citoyens, exigent aujourd'hui l'exécution la plus servile de ces mêmes lettres choses qui, jusqu'à présent semblaient incompatibles avec les principes qu'ils ont consignés dans le premier chapitre de leur constitution. Les magistrats Bretons obéirent, sans hésiter, aux ordres du Roi. A peine furent-ils arrivés à Rennes, que le substitut de Mr le procureur général leur présenta les lettres-patentes expédiées sur votre décret, et en requit l'enregistrement. Les lettres-patentes étaient adressées au Parlement de Rennes. Or, ces onze magistrats formaient-ils alors la Chambre des vacations, ou pouvaient-ils se considérer comme le Parlement de Bretagne ?

« Il est manifeste qu'ils ne composaient plus la Chambre des vacations, puisque leurs pouvoirs étaient expirés depuis cinq semaines. L'autorité royale qui les avait investis de cette juridiction commissoire, et leur compagnie qui en avait vérifié le titre constitutif, en avaient également limité la durée. On ne se donne point à soi-même et à l'insu d'une Cour souveraine, le droit de la représenter. Il n'y a pas de principe de nullité plus certain en toute matière que le défaut de pouvoirs. Des magistrats, qui ont cessé d'être en activité dans une Chambre des vacations, sont évidemment sans qualité pour en reprendre les fonctions au-delà du terme fixè par le Roi, et pour en proroger les séances. Ceux que je défends dans ce moment n'étaient pas plus la Chambre des vacations le 23 du mois de novembre, qu'ils ne représentaient l'une des autres Chambres du Parlement de Rennes. Pénétrés de l'évidence, de cette maxime, ils ne prirent aucun arrêté, ne rédigèrent point de remontrances, n'employèrent aucune des formes usitées de la magistrature ; et ils se contentèrent d'exposer les motifs de leurs refus dans la lettre qu'ils adressèrent au Roi. Les onze magistrats signèrent individuellement cette lettre officielle, qui n'aurait dû être souscrite que par le président, s'ils avaient délibéré ou écrit en corps. Formaient-ils eux seuls le Parlement de Rennes ?

« On n'osera pas le soutenir sérieusement. L'autorité de cette Cour ne leur était pas dévolue, et il aurait fallu l'assembler pour la faire consentir librement à la cessation de ses fonctions. L'enregistrement, que nous avons regardé jusqu'à présent comme une partie intégrante de la loi, sera-t'il donc considéré comme une simple formalité, que l'on puisse suppléer par une présomption de droit  ? L'ordre public est intimement lié à l'enregistrement des Cours. Donnerons-nous, Messieurs, à des ministres corrompus et corrupteurs, la terrible faculté de neutraliser un Parlement, en achetant la soudaine défection de dix ou onze de ses membres ? Voilà pourtant l'absurde conséquence! qu'il faut dévorer, si l'on veut consacrer le principe de ces vérifications clandestines. Eh! Messieurs, si les Parlements avaient enregistré servilement toutes les lois ministérielles qui leur ont été présentées, si une clause de ces compagnies avait suffi pour sanctionner notre législation, la France n'aurait pas reconquis ses droits constitutionnels, et nous ne serions pas assemblés ici, pour délibérer, dans ce moment, sur la conduite des magistrats qui composaient ci-devant la chambre des vacations de Rennes. Je crains, Messieurs, de blesser la délicatesse des magistrats de Rennes, en éveillant votre reconnaissance, dans un moment où il me suffit d'avertir votre justice ; mais puisqu'on oublie les services que la magistrature a rendus au royaume, il doit être permis de les rappeler surtout dans cette Assemblée. Je ne conçois pas, je l'avoue, que l'on ait pu poursuivre ici leur condamnation avec l'ardeur de la vengeance, et les sophismes de la haine. Il est si triste de haïr et il est si triste de haïr un corps, quand la cupidité ne généralise pas ces fanatiques aversions ! Hélas ! si nous exercions les fonctions du pouvoir judiciaire, si nous étions contraints, par l'évidence du délit, d'infliger une peine légale à un seul de nos concitoyens, nous ne remplirions qu'à regret un si triste ministère, et l'accent de la douleur exprimerait le sacrifice que notre sensibilité ne pourrait refuser à la loi. Comment arrive-t-il donc, Messieurs, que des membres du corps législatif s'arment sans pudeur devant vous de vains et barbares sophismes pour vous irriter contre les magistrats de Rennes ; qu'ils emploient leur éloquence à requérir des supplices ; qu'ils sollicitent l'avilissement de la magistrature comme un triomphe ; et qu'ils vous présentent des conclusions violentes, dont tout homme délicat serait plus humilié d'être l'auteur que la victime ?

« Nous ne sommes point appelés, Messieurs, à remplir les fonctions de juges. Notre gouvernement ne serait plus qu'un intolérable despotisme, si les pouvoirs politiques étaient réunis et confondus. Celui qui rédige la loi ne doit jamais en appliquer la décision. Nous sommes donc hors notre sphère d'activité, quand nous prononçons sur les personnes, tandis que nos mandats nous ont restreints à délibérer sur les choses, et un législateur-magistrat ne saurait être qu'un tyran. C'est le partage, c'est l'incommutable séparation des pouvoirs, qui est le véritable rempart de la liberté du peuple. L'exemple du procureur du roi de Falaise, qui s'est présenté devant vous dans les liens d'un décret que vous avez anéanti, n'est qu'une surprise faite à vos principes, et une erreur ne sera jamais un titre pour les représentants de la nation. Le peuple nous a transmis tous ses pouvoirs, comme on ne cesse de le répéter ; mais nous sommes obligés de les déléguer tous, pour n'exercer que la seule puissance législative, de concert avec le monarque. Je ne m'arrêterai donc pas à réfuter les raisonnements sur lesquels