Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome XI.djvu/166

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu'il faut étudier les véritables sentiments des Bretons. Or, nos collègues supposent, à chaque ligne de cet écrit, que leurs compatriotes sont séduits, qu'on les a trompés sur le véritable sens de nos décrets ; ils s'efforcent de leur démontrer tous les avantages de notre nouvelle constitution, qui n'est encore qu'ébauchée ; ils s'attachent surtout à les prémunir contre les suggestions de l'aristocratie, et ils ne négligent aucun artifice oratoire pour les désabuser. On a beau dire que l'adresse au peuple Breton n'est que le contre-poison de l'adresse aux Provinces. Tout est particularisé à la Bretagne dans l'ouvrage de nos collègues. Ce n'est point une réfutation polémique d'une brochure ; c'est un plaidoyer en forme contre un préjugé national.

« C'est donc, Messieurs, entre les mains des députés bretons eux-mêmes que je saisis dans cet instant la véritable déclaration de cette province sur les franchises, à deux époques différentes : à l'époque de la convocation des États généraux, et à l'époque actuelle dont on vous parle si diversement. A l'époque de la convocation des États généraux, tous les cahiers du clergé et des communes de Bretagne demandent unanimement la conservation des droits, franchises et privilèges de la Province. Les mandats qui n'énoncent à cet égard que des réserves constitutionnelles, et par conséquent inattaquables, sont tellement impératifs ou plutôt tellement résolutoires que les Bretons déclarent ne vouloir se soumettre à aucune décision de l'Assemblée nationale, à moins que nos décrets n'aient été librement adoptés par les États particuliers de la province. Ce n'est qu'à cette condition que la Bretagne nous a envoyé des députés, en se réservant ses franchises, que la nation française n'a pas le droit, et par conséquent le pouvoir de lui enlever.

« A l'époque actuelle, nous pouvons juger avec certitude, par l'adresse aux Bretons, de l'opinion commune de la Bretagne. Nous n'avions pas encore vu que les députés Bretons se crussent obligés de réfuter des ouvrages relatifs à tout le royaume. Plusieurs de ces députés, il est vrai, m'ont dit à moi-même qu'ils n'avaient cédé qu'à des menaces, et qu'ils n'avaient été persuadés que par la crainte, en mettant leur signature à la fin de cette adresse ; mais je ne présume pas que la majorité de la députation m'oblige de répondre à cette difficulté qui affaiblirait le témoignage, en supposant la contrainte ; et voici comment je raisonne : les plaintes des députés Bretons sont une preuve évidente de l'opinion générale de la Bretagne. Il nous suffit de les croire pour juger des véritables dispositions de leurs commettants ; et si l'usage des précautions atteste toujours le besoin des remèdes, le soin que l'on prend de désabuser tout un peuple, démontre que l'on est persuadé de la nécessité de le faire changer d'avis. Les conjectures des députés Bretons deviennent ainsi pour nous la démonstration de fait que l'opinion de la Bretagne leur est opposée. Maintenant, Messieurs, la lumière nous investit ici de tous les côtés. Un serment solennel liait les magistrats de Rennes à la Constitution de la Province ; ils ont offert au Roi de se démettre de leurs offices, si leur résistance à ses ordres contrariait les vues de l'Assemblée nationale. Quel est le citoyen français qui n'a pas le droit de se réserver son honneur et sa conscience, pour abdiquer des fonctions qu'il ne saurait remplir sans se rendre parjure ?

« Il faut prouver que les changements projetés dans l'ordre judiciaire n'altèrent point l'administration de la justice en Bretagne, ou il faut avouer que les magistrats Bretons, devenus par leur serment les mandataires et les gardiens de la Constitution de cette Province, ont pu et ont dû refuser de concourir à une révolution qu'il ne leur appartenait pas de juger. Cette seconde question, relative à la conduite et aux motifs des magistrats qui composaient ci-devant la chambre des vacations de Rennes, donne un nouveau degré d'existence à leur apologie. A mesure que nos rois ont établi des Parlements sédentaires, ils ont accordé à ces compagnies environ deux mois de vacances annuelles. Le cours ordinaire de la justice est interrompu durant cet intervalle de repos accordé aux ministres des lois. Pour subvenir aux affaires instantes, et surtout à l'expédition des causes criminelles, le Roi institue chaque année dans tous ses Parlements une chambre des vacations. Tous les jugements, que prononceraient alors les autres divisions des Cours souveraines, seraient nuls de plein droit. Les lettres-patentes, qui établissent ces commissions provisoires et intermédiaires, indiquent nominativement tous les magistrats qui doivent les remplir. C'est le Parlement tout entier qui en enregistre l'installation avant la clôture, et qui reconnaît ainsi la juridiction légale de ceux de ses membres que l'autorité royale a chargés de l'administration de la justice. Nul magistrat n'a le droit de siéger à cette Chambre en vertu de ses provisions : c'est par une mission spéciale des lettres-patentes du prince qu'il exerce les fonctions de juge, pendant les vacances du tribunal dont il est membre. Ces principes, ou plutôt ces faits, ne sont contestés par personne. Nous reconnaissons tous également que, les semestres étant abolis en Bretagne depuis le commencement de ce siècle, le Parlement [de Bretagne] y est entièrement assimilé à toutes les autres Cours souveraines du royaume. Or, Messieurs, la Chambre des vacations de Rennes avait été dissoute, et s'était séparée, selon l'usage, dès le 17 du mois d'octobre dernier. Les onze magistrats qui la composaient habitaient paisiblement leurs terres, lorsque vous rendîtes, le 3 du mois de novembre, le décret qui prorogeait les Chambres des vacations et les vacances de tous les Parlements. Cette question n'avait point été placée dans l'ordre du jour. La très-grande pluralité de l'Assemblée nationale, qui n'en avait pas prévu la discussion, n'y assista point. Une motion imprévue vint provoquer votre délibération dans la dernière demi-heure de la séance ; et deux ou trois opinions, écrites à l'avance, furent lues pour appuyer l'avis de Mr Alexandre de Lameth, qui s'efforça de prouver l'incompatibilité de l'ancienne organisation des Parlements avec la nouvelle constitution du royaume. Votre décret fut brusquement prononcé à la fin de cette séance mémorable, la seule à laquelle je n'aie point assisté ! J'ai souvent regretté. Messieurs, de n'avoir pu vous exposer tous les inconvénients de cette innovation qui avait déjà si mal réussi, avant que l'on nous proposât de l'imiter. L'administration de la justice est une dette sacrée et journalière de la société. Cette protection publique ne peut pas être arrêtée un seul moment, sans que l' État tombe dans l'anarchie : mais je ne m'arrête point à l'examen superflu de votre décret ; je me borne à discuter son exécution, et je dis qu'il était impossible en Bretagne lorsque, vous avez supplié le Roi de l'ordonner.

« Les magistrats de Rennes n'avaient point oublié que,