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comme des autres grands fiefs du royaume. Ce fut pour en prévenir une seconde fois le démembrement, que Louis XII fit épouser sa fille Claude au duc d'Angoulême, son héritier présomptif. Ce dernier prince, si célèbre sous le nom de François Ier, eut deux enfants mâles de son mariage avec la fille de Louis Xll. L'aîné de ces princes, Henri II, était appelé par droit de primo-géniture, au trône de France, et le cadet, duc d'Angoulême, devait hériter du Duché souverain de Bretagne, en vertu du contrat de mariage d'Anne, son aïeule avec Louis Xll.

« La France alarmée de ce nouveau démembrement de la Bretagne, dont elle ne voyait plus le terme, pressa François Ier de consommer, par un contrat synallagmatique et irrévocable, la réunion de cette province à la couronne. Pressé par les vœux de tout son peuple, François 1er alla tenir lui-même les États de Bretagne à Vannes en 1532. Ces États de Bretagne, dont on trouve aujourd'hui l'organisation si vicieuse, conclurent le Traité au nom de tout le peuple Breton : les deux nations transigèrent ensemble. La Bretagne fut unie à jamais à la couronne de France ; et le contrat, qui en renferme les conditions, a été ratifié, depuis cette époque, de deux en deux ans, par tous les successeurs de François Ier jusqu'en 1789.

« C'est l'exécution littérale de ce traité de Vannes en 1532 que réclament les Bretons. Il n'y a plus rien de sacré parmi les hommes, si un pareil titre n'est pas respecté. La propriété individuelle de chaque citoyen fondée sur l'autorité des contrastes, n'a point d'autre base que les droits de cette Province, qu'on appelle si improprement ses privilèges. Le peuple breton n'en jouit qu'à titre onéreux, puisqu'il ne se les est assurés, qu'en renonçant à la plus belle de toutes les prérogatives, je veux dire au droit d'avoir son souverain particulier. J'avertis les membres de l'Assemblée nationale, qui nous parlent avec dédain des franchises de la Bretagne, que, s'ils veulent nous réfuter, c'est à ce raisonnement surtout, que nous les invitons, ou plutôt que nous les défions de répondre jamais (1).

« Le danger du démembrement prévu par François 1er, était plus réel qu'il ne se l'imaginait lui-même. Outre la séparation de la Bretagne, qui était annoncée par la succession collatérale de son fils cadet, cette Province aurait été dévolue ensuite par la loi à d'autres Princes qui en seraient devenus les héritiers naturels. Car la loi salique, je le répète, n'a jamais été admise en Bretagne : la représentation même y a toujours eu lieu ; et par conséquent, les filles pouvaient en hériter comme la reine Anne elle-même. Or, Messieurs, la branche masculine des Valois fut éteinte à la mort de Henri III, en 1589 ; mais la postérité féminine des Valois existe encore aujourd'hui dans les maisons de Lorraine et de Savoie, qui régneraient en Bretagne sans l'exclusion du traité de Vannes en 1532.

(1) Pendant que je développais ces faits historiques dans la tribune, un honorable membre, M. Fréteau, qui a très-bien remarqué l'impression que mon récit faisait sur l'Assemblée, m'a interrompu, et a demandé qu'il lui fût permis de me réfuter après que j'aurais parlé. Il a dit que j'altérais l'Histoire de la Bretagne. J'ai demandé aussitôt moi-même à Mr le Président, que M. Fréteau obtint la parole après moi ; et je l'ai défié hautement de me contredire. M. Fréteau n'a pas jugé à propos de me répondre, et son silence m'a autant surpris que sa critique, dont il m'est impossible de deviner l'objet.

« Tous les engagements des contrats sont réciproques. Il est donc démontré, et je ne crains pas de le publier en présence des représentants de la nation française, QUE LA BRETAGNE EST LIBRE, et que nous n'avons plus aucun droit sur cette Province, si nous ne voulons pas remplir fidèlement les conditions du Traité qui l'a réunie à la couronne.

« Cette conséquence découle de tous les principes sur lesquels l'ordre social est établi ; et vous voudrez bien ne pas oublier, Messieurs, que l'une des clauses de ce contrat porte formellement que la Bretagne aura un Parlement, une Chancellerie, une Chambre des comptes, et qu'il ne sera fait aucun changement relatif à l'administration de la justice dans cette province, sans le consentement préalable de ses États.

« Vous avez entendu, Messieurs, l'un des préopinants vous dire, dans cette tribune, que si la Bretagne ne voulait pas adopter la nouvelle constitution du royaume, il fallait terminer le différend, les armes à la main. Ah, Messieurs ! que le ministre d'un vieux despote, endurci par un long abus de pouvoir, eût osé proposer, dans un divan, cet exécrable argument du droit du plus fort ; que pour se soustraire aux justes réclamations d'un peuple fidèle, il l'eût menacé du honteux expédient de le conquérir, et qu'il se fût ainsi flatté de rompre les engagements les plus sacrés du trône, en conseillant le plus grand des crimes à son imbécile souverain, je n'en serais point surpris : le vizir aurait fait son métier, et il ne faut point attendre d'autre morale des suppôts du despotisme. Mais que, dans le dix-huitième siècle, un représentant de la nation française ait porté l'immoralité de ses opinions jusqu'à professer une pareille doctrine au milieu de l'Assemblée nationale, c'est un scandale qui n'avait jamais eu d'exemple, et qui je l'espère, n'aura jamais d'imitateur. Que dis-je, Messieurs ? le roi le plus conquérant qui ait gouverné la France aurait repoussé avec indignation le lâche conseil de violer envers ses propres sujets la foi tutélaire des Traités. Louis XIV, dont l'âme fière et haute ne cédait pas aisément aux contradictions, Louis XIV, animé par le sentiment le plus dominant du cœur humain, par l'amour paternel, conserva jusque dans sa tendresse pour son fils, le comte de Toulouse, le respect qu'il devait à la Constitution de la Bretagne. Ce monarque, aussi calomnié depuis sa mort qu'il avait été flatté pendant sa vie, voulut nommer le comte de Toulouse grand-amiral de France. On lui représenta que les Provinces maritimes du royaume avaient été dépouillées du droit de conserver un amiral particulier, mais que la Bretagne n'avait jamais renoncé à cette prérogative. Louis XIV, qui savait régner sur les Français, écarta toutes ces discussions délicates sur l'autorité royale ; et il concilia tous les intérêts, en unissant à perpétuité en 1695, la grande amirauté de France au Gouvernement de la Bretagne.

« Cet hommage, rendu par Louis-le-Grand aux droits de la Bretagne, nous avertit, Messieurs, des égards que nous devons à la Constitution de cette Province. Tout est singulier dans sa coutume, dans ses franchises, dans son administration, dans ses tribunaux. La commission intermédiaire des États y a pris la défense des magistrats, toutes les fois que l'autorité a entrepris des innovations dans l'ordre judiciaire.

« Dans nos autres Provinces, la constitution est confiée à la garde des Parlements, au lieu qu'en Bretagne, le Parlement