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bien apercevoir que l’ascendant du souverain serait un jour ou l’autre favorisé par l’établissement général et constant des délibérations en commun ; car dans un temps où les esprits ne seraient pas soutenus, comme aujourd’hui, par une circonstance éclatante, peut-on douter qu’un roi de France n’eût des moyens pour captiver ceux qui, par leur éloquence et leurs talents, paraîtraient devoir entraîner un grand nombre de suffrages ! La marche des délibérations confiées à deux ou trois ordres est donc, par sa lenteur et sa circonspection, la moins favorable aux grandes résolutions ; et quand votre monarque, Messieurs, vous ramène à ces réflexions, il vous donne une nouvelle preuve de son amour sincère du bien de l’Etat.

Ah ! si dans le cours de ce mémoire, si en parcourant rapidement les objets les plus importants, je ne vous ai pas fait connaître les sentiments généreux et les intentions pures qui dirigent toutes les déterminations de notre auguste monarque, n’en accusez, Messieurs, que l’interprète dont il a fait choix. Sa Majesté veut le bien, et le veut dans toute son étendue ; et après avoir été souvent contrarié dans ses désirs et dans ses tentatives, elle vient chercher en vous une consolalion et un appui.

Non, son espoir ne sera point trompé ; vous voudrez lui marquer de la reconnaissance, vous voudrez lui donner le prix qu’elle attend de vous ; et ce prix, ce prix inestimable, sera l’avancement du bonheur de ses peuples.

Soyez unis, Messieurs, pour une si grande entreprise, soyez unis pour répondre aux vœux de la nation, soyez unis pour soutenir avec honneur les regards de l’Europe, soyez unis pour transmettre sans crainte vos noms à la postérité, et pour contempler à l’avance le tribunal rigoureux des générations futures. Elles auront un compte à vous demander, ces générations innombrables dont vous allez peut-être fixer la destinée. Vos rivalités, vos prétentions, vos débats personnels passeront comme l’éclair au milieu de l’immensité de l’espace, et ne laisseront aucune trace dans la route des siècles, mais les principes d’union et de bonheur que vous aurez affermis deviendront le témoignage et comme le trophée perpétuel de vos travaux et de votre patriotisme. Oui, ce que vous aurez fait pour l’avantage de l’Etat et pour sa gloire, ce que vous aurez fait pour en assurer la durée, se trouvant inséparablement lié à la plus grande et à la plus éclatante de toutes les circonstances, confiera votre souvenir à la reconnaissance des hommes. Eh ! qui ne sait que leur reconnaissance s’accroît à mesure que le temps éloigne d’eux leurs bienfaiteurs et les obscurcit de son ombre ! Mais ne vous le dissimulez point, Messieurs, il faut qu’une constitution bienfaisante et salutaire eoit cimentée par la puissance de l’esprit public, et cet esprit public, ce patriotisme, ne consiste point dans une ferveur passagère, ou dans un aveugle désir d’une nouvelle situation ; un tel désir, une telle agitation, subsisteront toujours, car il est dans l’ordre inviolable des choses que le plus grand nombre des habitants d’un empire découvrent autour d’eux de meilleures places, et aspirent vaguement à un mouvement qui leur présente de nouvelles chances.

Une pareille inquiétude n’est qu’un sentiment personnel, et on ne l’abolit qu’en apparence et passagèrement, quand on le dirige vers les intérêts généraux dont la société paraît le plus occupée. Mais le véritable esprit public, le seul qui puisse suppléer à l’imperfection de toutes les lois politiques, est d’une toute autre nature ; vaste dans ses vues, réfléchi dans sa marche, il transporte, non pour un moment, mais pour toujours, nos intérêts person nels à quelque distance de nous, afin de les réunir, afin de les soumettre à l’intérêt commun. Il faut de la force, il faut du temps pour s’élever à cet esprit public ; et dans les commencements un pareil effort est pénible ; il doit l’être surtout au milieu d’une nation qui n’a jamais pris soin de ses propres affaires, et qui, accoutumée depuis des siècles à s’abandonner uniquement aux prétentions individuelles, ou à celles qui dépendent d’une association circonscrite, n’est nullement préparée à la grande scène qui s’ouvre aujourd’hui devant elle.

Je ne fais point ces réflexions, Messieurs, pour affaiblir votre courage, mais pour vous engager à n’être point étonnés des contrariétés dont vous ferez l’épreuve tant que l’esprit national ne sera point encore en harmonie avec la grandeur des circonstances présentes. Et pourquoi seriez-vous abattu par des obstacles, tandis que le gouvernement, vers lequel se sont portées, comme à flot, toutes les passions, toutes les intrigues et toutes les calomnies, a maintenu néanmoins son courage et sa persévérance ?

Il eût connu, comme d’autres, le prix du repos ; il eût franchi bien ou mal les difficultés de finance ; et en mettant tous ses soins à rendre à l’autorité son ancienne influence, il eût traversé ces temps d’orage, comme on l’a fait tant de fois sans éclat, mais sans inquiétude. Au lieu de suivre cette marche obscure, il s’est avancé au milieu des dangers ; il s’est exposé à tous les combats de l’intérêt personnel, il s’est soumis à tous les faux soupçons, à toutes les interprétations injustes ; et au milieu d’une année désastreuse, au milieu d’une année où le défaut des récoltes, les rigueurs de la saison, les ravages des tempêtes et des fléaux de toute espèce ont assailli la France, enfin, au milieu de la pénurie du trésor royal et des embarras inextricables de la finance, il a mis en mouvement les habitants de tout un royaume ; et gêné par des formes bizarres en elles-mêmes, et dont souvent on avait perdu la trace, il est enfin parvenu, à force de soins et de peines, à rassembler ces Etats généraux que la nation a demandés avec tant d’instance, ces Etats généraux de la France, ces Etats généraux du premier empire du monde, ces Etats généraux enfin qu’aucun de nous ne peut contempler en ce moment sans une respectueuse émotion. C’est à eux, c’est à vous, Messieurs, qu’il appartient d’achever le plus grand des ouvrages, et de répondre aux espérances du meilleur des rois ; c’est à vous à combler les vœux de tout un peuple. Qu’un jour, qu’un seul jour ne soit pas perdu, afin que vous arriviez plus tôt à votre terme, afin que vous alliez recueillir dans vos provinces les tributs de reconnaissance qui vous seront dus, afin que vous entendiez de toutes parts dans votre route les cris de vive le Roi, vive le bienfaiteur de son peuple, et que vous mêliez à ces paroles l’ardente et touchante expression de votre admiration et de votre amour.

France 1 heureuse France ! c’est entre les mains de tes citoyens, c’est entre les mains de tes enfants ! c’est entre les mains de tes représentants dont toi-même tu as fait le choix, que repose aujourd’hui ta destinée l

Oui, Messieurs, le Roi, en rassemblant les Etats généraux, le Roi, en réunissant autour de lui les représentants de la nation, le Roi, en appelant à