Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/94

Cette page n’a pas encore été corrigée

âO

(États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 15 mai 1789.

dre en beaucoup d’endroits des angoisses inséparables de la disette. Cependant Sa Majesté ne s’en est pas fiée aux efforts des négociants et à la protection incertaine de l’intérêt particulier : chacun malheureusement fuit le commerce des grains, lorsque les hauts prix amènent le trouble et la défiance. Le Roi a donné des primes d’encouragement ; le Roi a obtenu des permissions pour extraire des blés de Sardaigne, de Sicile et des Etats du pape ; le Roi a fait venir à ses frais et à ses risques une quantité considérable de grains et de farine ; et si à force de soins et de secours, Sa Majesté a pu suffire jusqu’à présent aux besoins les plus pressants, besoins généraux cette année dans son royaume, elle n’a pu se préserver des plus grandes inquiétudes. Ces inquiétudes se sont mêlées aux difficultés sans nombre de la convocation des Etats généraux-, elles se sont mêlées aux embarras journaliers du trésor royal ; enfin, elles se sont réunies aux ménagements sans fin qu’exigeaient les circonstances. Jamais année n’a multiplié tant de traverses et n’a semé tant d’obstacles sur la route de l’administration. On parle d’honneur, on parle de gloire pour vous encourager et vous soutenir : ah ! dans de certaines crises et au milieu de ses travaux et de ses peines, le sentiment de la part des autres dont un ministre a le plus besoin, c’est de compassion et de pitié. Cependant, Messieurs, ce sont les blés, ce sont les craintes sur la mesure des approvisionnements nécessaires à la subsistance de ses peuples, qui préoccupent impérieusementlapensée du souverain. L’expérience semble avoir démontré qu’une loi générale et constante, soit en faveur d’une liberté parfaite, soit en opposition àce système, expose à de grands inconvénients et à de sévères conséquences. Mais les combinaisons, la prudence de l’administration doivent-elles être votre seul garant ? c’est au gouvernement à désirer avec ardeur que vous puissiez trouver une autre caution, et c’est à lui de vous inviter à chercher un règlement, une instruction, une association au moins à ses peines et à ses inquiétudes, qui allège le fardeau dont il est oppressé, lorsqu’il se voit dans la dure obligation de lutter contre des circonstances souvent invincibles, et de répondre néanmoins à l’attente de tous ceux qui considèrent les soins de l’administration comme une sauvegarde indéfinie.

VIII.

Le tirage de la milice, cette loterie de malheur qui a lieu toutes les années, fixera sûrement votre attention. Il faut que l’Etat ait des défenseurs, il faut qu’il soit sûr d’en trouver dans le temps où le rovaume est en danger ; mais si des sacrifices d’argent supportés par l’universalité des habitants de la France pouvaient obvier aux inconvénients des enrôlements forcés ou en tempérer du moins les sévères effets, vous dirigerez sûrement votre attention vers la recherche d’un point de conciliation si désirable.

Le peuple des campagnes vous a remis ses intérêts, l’humanité seule vous eût engagés à les prendre sous votre garde, et le tendre père de tous ses sujets, le protecteur le plus sensible des malheureux, votre auguste monarque vous invite particulièrement à rechercher, à lui indiquer toutes les dispositions qui peuvent adoucir le sort de la classe la plus infortunée et la plus délaissée des citoyens de l’Etat.

Déjà, par les ordres exprès du Roi, le département de la guerre s’est occupé de l’important objet d’administration dont on vient de vous parler. Sa Majesté vous fera communiquer les observations et les idées qui ont été recueillies, et elle verra avec satisfaction que vous puissiez concourir par vos lumières à l’adoption d’un plan raisonnable et propre à concilier les vues de sagesse et de bonté dont Sa Majesté est constamment animée.

IX.

C’est à l’honneur du Roi, c’est en souvenir, c’est en hommage pur et sensible de ses bienfaits, que nous vous rappellerons les maux de la corvée, puisque les chemins, dans presque tout le royaume, sont aujourd’hui entretenus et construits à prix d’argent.

Vous aimerez sans doute, Messieurs, à consacrer l’abolition d’un asservissement qui a fait verser tant de larmes. Vous ne voyez plus sur les routes des hommes distraits par’ force de leurs occupations journalières, pour venir sans salaire et sans récompense frayer et préparer les chemins qui facilitent le transport du commerce, le débit des moissons du propriétaire et la communication des richesses. Le travail qui doit servir à tous est maintenant payé par tous dans une exacte proportion des différentes facultés.

Il n’est pas douteux qu’en raison de cette règle, tel homme de peine à qui l’on demandait gratuitement chaque année sept ou huit jours de son temps, se trouve affranchi de cette dure obligation par une contribution pécuniaire qui représente à peine la dixième partie de son ancien sacrifice. Vous êtes encore à temps, Messieurs, d’être associés pour une part aux dispositions bienfaisantes de Sa Majesté, puisque vous pouvez l’aider à détruire les dernières traces de la corvée dans une grande province où elle est conservée ; vous réunirez vos vœux au désir déjà manifesté par Sa Majesté pour délivrer le peuple breton d’un joug auquel il est encore assujetti, et si ces deux mots effrayants, la taille et la corvée, sont rayés pour toujours des registres de l’administration des finances et du code français, cette seule délibération suffirait pour signaler honorablement les Etals généraux de 1789. Un jour viendra peut-être, Messieurs, où vous étendrez plus loin votre intérêt ; un jour viendra peut-être où, associaut à vos délibérations les députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion sur ce malheureux peuple dont on a fait tranquillement un barbare objet de trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée et surtout par la triste faculté de souffrir ; sur ces hommes cependant que, sans pitié pour leurs douloureuses plaintes, nous accumulons, nous entassons au fond d’un vaisseau pour aller ensuite à pleines voiles les présenter aux chaînes qui les attendent.

Quel peuple aurait plus de droits que les Français à adoucir un esclavage considéré comme nécessaire, en faisant succéder aux maux inséparables de la fraite d’Afrique, aux maux qui dévastent deux mondes, ces soins féconds et prospères qui multiplieraient dans les colonies même les hommes destinés à nous seconder dans nos utiles travaux ! Déjà une nation distinguée a donné le signal d’une compassion éclairée ; déjà l’humanité est défendue au nom même de l’intérêt personnel et des calculs politiques, et cette superbe cause ne tardera pas à paraître devant le tribunal de toutes les nations. Ah ! combien de sortes de satisfactions , combien d’espèces de