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peine ce vœu a-t-il éclaté, qu’elle s’empresse de le remplir, et les lenteurs que la prudence lui suggère ne sont plus que des précautions de sa bienfaisance toujours active, mais toujours prévoyante sur les véritables intérêts de ses peuples. Le Roi a désiré connaître séparément leurs besoins et leurs droits. Les municipalités, les bailliages, les hommes instruits dans tous les états, ont été invités à concourir par leurs lumières au grand ouvrage de la restauration projetée. Les archives des villes et celles des tribunaux, tous les monuments de l’histoire étudiés, approfondis et mieux développés, leur ont ouvert des trésors d’instruction ; de grandes questions se sont élevées ; des intérêts opposés, toujours mal entendus quand ils se combattent en de pareilles circonstances, ont été discutés, débattus, mis dans un jour plus ou moins favorable ; mais enfin un cri presque général s’est fait entendre pour solliciter une double représentation en faveur du plus nombreux des trois ordres, de celui sur lequel pèse principalement le fardeau de l’impôt. En déférant à cette demande, Sa Majesté, Messieurs, n’a point changé la forme des anciennes délibérations : et quoique celle par têtes, en ne produisant qu’un seul résultat,paraisse avoir l’avantage de faire mieux connaître le désir général, le Roi a voulu que cette nouvelle forme ne puisse s’opérer que du consentement libre des Etats généraux, et avec l’approbation de sa Majesté. Mais quelle que doive être la manière de prononcer sur cette question, quelles que soient les distinctions à faire entre les différents objets qui deviendront la matière des délibérations, on ne doit pas douter que l’accord le plus parfait ne réunisse les trois ordres relativement à l’impôt. Puisque l’impôt est une dette commune des citoyens, une espèce de dédommagement et le prix des avantages que la société leur procure, il est juste que la noblesse et le clergé en partagent le fardeau.

Pénétrés de cette vérité, on les a vus presque dans tous les bailliages donner avec empressement un témoignage honorable de désintéressement et de patriotisme, et il leur tarde de se voir réunis par ordre, afin que ces délibérations qui jusqu’ici n’ont pu être que partielles acquièrent ce degré de généralité qui, en les consolidant, fixera leur stabilité.

Si des privilèges constants et respectés semblèrent autrefois soustraire les deux premiers ordres de l’Etat à la loi générale, leurs exemptions, du moins pendant longtemps, ont été plus apparentes que réelles.

Dans des siècles où les églises n’étaient point dotées,oùon ne connaissait encore ni les hôpitaux ni ces autres asiles nombreux élevés par la piété et la charité des fidèles, où les ministres des autels, simples distributeurs des aumônes, étaient solidairement chargés de la subsistance des veuves, des orphelins, des indigents, les contributions du clergé furent acquittées par ses soins religieux, et il y aurait eu une sorte d’injustice à en exiger des redevances pécuniaires. Tant que le service de l’arrière-ban a duré, tant que les possesseurs de fiefs ont été contraints de se transporter à grands frais d’une extrémité du royaume à l’autre, avec leurs armes, leurs hommes, leurs chevaux, leurs équipages de guerre ; de supporter des pertes souvent ruineuses, et, quand le sort des combats avait mis leur liberté à la merci d’un vainqueur avare, de payer une rançon toujours mesurée sur son insatiable avidité ; n’était-ce donc pas une manière de partager l’impôt, ou plutôt n’était-ce pas un impôt réel que ce service militaire que l’on a même vu plusieurs fois concourir avec des contributions volontaires ?


Aujourd’hui que l’Eglise a des richesses considérables, que la noblesse obtient des récompenses honorifiques et pécuniaires, les possessions de ces deux ordres doivent subir la loi commune. Nous aimons à le répéter, leur acquiescement à cette loi eut dans sa première forme toute la vivacité de l’émulation, et prit tous les caractères delà loyauté, de la justice et du patriotisme. L’impôt, Messieurs, n’occupera pas seul vos délibérations ; mais pour ne point anticiper sur les objets de discussion qui partageront les moments consacrés à vos Assemblées, ilme suffira de vous dire que vous n’imaginerez pas un projet utile, que vous n’aurez pas une idée tendant au bonheur général que Sa Majesté n’ail déjà conçue, ou dont elle ne désire fermement l’exécution. Depuis que les Etats généraux sont déterminés, le Roi n’a jamais pensé sans attendrissement à cette réunion d’un bon père et de ses enfants chéris, qui deviendra le gage de la félicité commune.

Au nombre des objets qui doivent principalement fixer votre attention et qui déjà avaient mérité celle de Sa Majesté, sont les mesures à prendre pour la liberté de la presse ; les précautions à adopter pour maintenir la sûreté publique, et conserver l’honneur des familles ; les changements utiles que peut exiger la législation criminelle pour mieux proportionner les peines aux délits, et trouver dans la honte du coupable un frein plus sûr, plus décisif que le châtiment. Des magistrats dignes de la confiance du monarque et de la nation étudient les moyens d’opérer cette grande réforme ; l’importance de l’objet est l’unique mesure de leur zèle et de leur activité.

Leurs travaux doivent embrasser aussi la procédure civile qu’il faut simplifier. En effet, il importe à la société entière de rendre l’administration de la justice plus facile, d’en corriger les abus, d’en restreindre les frais, de tarir surtout la source de ces discussions interminables qui trop souvent ruinent les familles, éternisent les procès, et font dépendre le sort des plaideurs du plus ou du moins d’astuce, d’éloquence et de subtilité des défenseurs ou de leurs adversaires. Il n’importe pas moins au public de mettre les justiciables à portée d’obtenir un prompt jugement ; mais tous les efforts du génie et toutes les lumières de la science ne feraient qu’ébaucher cette heureuse révolution, si l’on ne surveillait avec le plus grand soin l’éducation de la jeunesse. Une attention exacte sur les études, l’exécution des règlements anciens, et les modifications nécessaires dont ils sont susceptibles, peuvent seuls former des hommes vertueux, des hommes précieux à l’Etat, des hommes faits pour rappeler les mœurs à leur ancienne pureté, des citoyens, en un mot, capables d’inspirer la confiance dans toutes les places que la Providence leur destine. Sa Majesté recevra avec intérêt, elle examinera avec l’attention la plus sérieuse, tout ce qui pourra concerner la tranquillité intérieure du royaume, la gloire du monarque et le bonheur de" ses sujets.

Jamais la bonté du Roi ne s’est démentie dans ces moments d’exaltation où une effervescence qu’il pouvait réprimer a produit dans quelques provinces des prétentions ou des réclamations exagérées. Il a tout écouté avec bienveillance ;