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ARCHIVES PARLEMENTAIRES
RÈGNE DE LOUIS XVI.

ÉTATS GÉNÉRAUX.

SÉANCE ROYALE D’OUVERTURE.


Mardi 5 mai 1789

[1].

Conformément à la proclamation du Roi, les députés[2] se sont rendus en costume à la salle des États[3], vers neuf heures du matin. Néanmoins, ils ne sont entrés qu’à mesure qu’ils étaient appelés par les hérauts d’armes, et un maître des cérémonies indiquait à chacun la place qu’il devait occuper suivant, l’ordre auquel il appartenait et le rang de son bailliage, d’après le règlement de 1614.

Tous les députés n’ont été placés que vers les midi moins un quart. On leur avait préparé des banquettes disposées dans une forme semi-elliptique, dont l’estrade sur laquelle s’élevait le trône faisait le diamètre.

Les députés du clergé occupèrent la droite des banquettes situées le" plus près du trône, ceux de la noblesse, la gauche ; ceux des communes étaient placés à la suite de ces deux premiers ordres.

Vers les une heure, les hérauts d’armes annoncèrent l’arrivée du Roi. Aussitôt, tous les députés se lèvent, et des cris de joie retentissent de toutes parts.

Bientôt le Roi paraît ; les applaudissements les plus vifs se font entendre, accompagnés des cris de vive le Roi ! Sa Majesté monte sur son trône. On remarque que ses regards se promènent avec un air de satisfaction sur la réunion imposante des députés du royaume. La reine se place à côté de lui, hors du dais, sur un fauteuil inférieur au trône. La famille royale entoure le Roi ; les princes, les ministres, les pairs du royaume sont placés un lieu plus bas, et le surplus du cortège du monarque couvre les degrés de l’estrade.

M. le marquis de Brézé, grand maître des cérémonies, annonce du geste que le Roi va parler. Le silence le plus profond succède aux acclamations qui se faisaient entendre.

Sa Majesté s’exprime en ces termes : « Messieurs, ce jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la nation à laquelle je me fais gloire de commander.

« Un long intervalle s’était écoulé depuis les dernières tenues des États généraux, et quoique la convocation de ces Assemblées parût être tombée en désuétude, je n’ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur.

« La dette de l’État, déjà immense à mon avènement au trône, s’est encore accrue sous mon règne ; une guerre dispendieuse mais honorable en a été la cause ; l’augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition.

« Une inquiétude générale, un désir exagéré d’innovations se sont emparés des esprits et finiraient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d’avis sages et modérés.

« C’est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassemblés, et je vois avec sensibilité qu’elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs priviléges pécuniaires. L’espérance que j’ai conçue de voir tous les ordres, réunis de sentiments, concourir avec moi au bien général de l’État, ne sera point trompée.

« J’ai déjà ordonné dans les dépenses des retranchements considérables. Vous me présenterez encore à cet égard des idées que je recevrai avec empressement ; mais malgré la ressource que peut offrir l’économie la plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir soulager mes sujets aussi promptement que je le désirerais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances, et quand vous l’aurez examinée, je suis assuré d’avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent, et affermir le crédit public. Ce grand et salutaire ouvrage, qui assurera le bonheur du royaume au dedans et sa considération au dehors, vous occupera essentiellement.

« Les esprits sont dans l’agitation ; mais une Assemblée des représentants de la nation n’écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, Messieurs, qu’on s’en est écarté dans plusieurs occasions récentes ; mais l’esprit dominant de vos

  1. L’ouverture des États généraux devait avoir lieu à Versailles le 4 mai 1789. Le 2. tous les députés réunis dans cette ville furent présentés au Roi, par ordre et non par bailliage. — Le 4 mai, une messe du Saint-Esprit fut célébrée par M. de La Fare, évêque de Nancy, dans l’église Saint-Louis.
  2. Liste des députés, t. Ier, p. 593 et suiv.
  3. On avait préparé sous le nom de Salle des Trois Ordres, la salle dite des Menus, située en dehors du château. — Elle pouvait contenir les douze cents députés et de nombreux spectateurs.