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[Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1789-1 409 tueuses, il n’est point d’intervalle entre l’amour et la haine ; et nea n’est plus commun dans les fastes de la puissance populaire, nue de voir la multitude briser de ses mains l’idole qu’elle avait encensée le jour précédent. Ce qui sur lout est de la plus terrible consé- quence dans le despotisme de la multitude, c’est que ceux qui ne savent pas réfléchir, (et c’est toujours le plus grand nombre) soutiennent cette autorité jusqu’au moment où ils en deviennent les victimes ; qu’ils la soutiennent parce qu’ils la partagent ; c’est que peu d’hommes ont le cou- rage de lui résister. Rien n’est plus fréquent que de rencontrer des gens d’honneur qui s’empressent de lutter contre l’autorité arbitraire d’uu seul ; mais devant la force de la multitude, tout cède à l’instant, on obéit sans rougir ; et comme elle distribue elle môme la gloire, puisqu’elle forme l’opinion publique, il faut avoir le plus sublime courage pour ne pas flatter toutes ses passions ; il faut savoir dédaigner la gloire, et même braver la honte. Pour achever de caractériser le despotisme populaire, en doit ajouter qu’il se termine le plus souvent par le pouvoir arbitraire d’un seul. Quand la multitude est venue au point de redou- ter ses propres excès, elle se choisit un chef, et finit par obéir à tous ses caprices. Je le répète donc : la véritable liberté n’est que la sûreté des biens et des personnes ; cette sû- re’é n’a point d’autres fondements que le respect des lois. La licence ou l’anarchie est donc la plus cruelle ennemie de la liberté. La licence n est autre chose que le pouvoir arbitraire, c’est la faculté de pouvoir nuire impunément ; et dans ce sens, le despotisme d’un monarque absolu, n’est que la licence d’un seul, comme l’anarchie est la licence de la multitude. De la division des pouvoirs. Pour que les lois puissent maintenir la liberté, il faut assurer leur exécution : c’est la nécessité d’établir des lois et du les exécuter qui exige les institutions que nous appelons gouvernement. Pour empêcher la tyrannie, il est absolument indispensable de ne pas confondre avec le pou- voir défaire les lois celui qui doit les faire exé- cuter ; si leur exécution était confiée à ceux qui les établissent, ils ne se considéreraient jamais comme engagés par des lois antérieures. L’exécution des lois est fréquemment arrêtée par le choc des passions qu’elles combattent. Les passions de ceux qui sont chargés de les faire observer sont aussi mises en mouvement par une sorte de réaction. S’il leur est permis d’écouler leurs volontés particulières, la loi n’est plus im- partiale, ou plutôt on abuse de son nom pour dé- guiser un régime oppresseur. Quant au pouvoir judiciaire, il n’est qu’une émanation du pouvoir exécutif, qui doit le mettre en activité et le surveiller constamment ; mais, afin que le pouvoir exécutif n’introduise par l’ar- bitraire dans les tribunaux, ne domine pas la conscience des juges, les lois doivent garantir leur liberté dans l’exercice de leurs fonctions, etne pas permettrequ’ils soient dépossédés de leur emploi pendant le temps qu’elles auront déter- miné, si ce n’est pour une prévarication, et en vertu d’un jugement légal. C’est une vérité incontestable que la réunion des pouvoirs détruit entièrement l’autorité des lois et forme le despotisme. Dans les républiques anciennes, on n’avait point assez connu l’importance de la division des pouvoirs législatif et exécutif. On avait établi des corps, des magistrats à qui l’on avait conlié di- vers degrés de puissance ; mais le pouvoir arbi- traire était sans cesse à côté de la loi. Aussi de violentes convulsions troublaient souvent la paix publique. La liberté, la licence, et la servitude, se succédaient rapidement. A Rome, par exemple, le droit de faire des lois appartenait au peuple, au sénat, au préteur ; ils avaient aussi le droit de les faire exécuter, etmêmecelui de juger. On ne doit pas être surpris qu’avec un pareil gouverne- ment, le peuple romain n’ait pu conserver sa li- berté. 11 n’aurait pas tant tardé de déchirer lui- même le sein de sa patrie pour la précipiter en- suite dans l’esclavage, si ses chefs n’eussent eu le soin de le conduire souvent à l’ennemi, et de diriger son ardeur vers la conquête du monde. Mais comment doivent être exercés les pou- voirs législatif et exécutif ? Il faut prendre ici pour seul guide le plus grand avantage de la so- ciété, et se rappeler que le meilleur gouverne- ment est celui qui porte au plus haut degré le bonheur et la sûreté du peuple. Pour qu’un peuple puisse, sans de très-grands inconvénients, se réserver le pouvoir de faire des lois, il faudrait qu’il fût très-peu nombreux, qu’il eût des mœurs simples, que ses intérêts fussent faciles à régler, et que les fortunes fussent à peu près égales ; c’est-à-dire, qu’il n’existe pas sur la terre de peuple connu à qui la démocratie, dans le sens qu’on attache pour l’ordinaire à cette expression, puisse véritablement convenir. Si le nombre des personnes qui délibèrent est trop considérable, les résolutions sont prises au milieu du tuniulte, on ne s’éclaire point par la discussion, on ne réfléchit pas sur les consé- quences. Tous les individus sont entraînés par l’imitation, ou par la crainte d’encourir l’indi- gnation publique en combattant les opinions qui plaisent à la multitude. Si les fortunes sont iné- gales, les pauvres seront forcés d’abandonner le soin des affaires publiques ; et, sans leur conser- ver aucune influence, les riches s’empareront du gouvernement. Je suis même si frappé des inconvénients insé- parables de la démocratie pure, qu’en supposant qu’il existât une nation digne de la posséder, je ne pourrais lui en conseiller l’usage. En effet, un peuple dont le nombre n’excéderait pas douze ou quinze cents hommes éclairés, égaux en richesses, pleins de zèle pour leur patrie, serait certaine- ment, par sa situation, le plus propre à exercer en corps le pouvoir législatif. Cependant, n’agirait-il pas prudemment, s’il considérait que les circonstances qui lui facili- tent l’exercice de ce pouvoir, doivent bientôt ces- ser, que la population s’augmentera, que les ri- chesses seront bientôt inégales, qu’il deviendra impossible à tous les citoyens de passer leur temps à délibérer sur l’intérêt général, que les magistrats chargés de l’exécution des lois, usur- peront le droit exclusif de les proposer, trompe- ront la multitude, ne lui Plisseront qu’une in- fluence apparente, ou qne, dans un moment d’effervescence, elle se choisira un chef, et lui donnera tous les genres d’autorité ? D’ailleurs, quand un peuple se réunit en corps pour faire les luis, peut-il exister une puissance capable de balancer la sienne ? Est-il facile de le convaincre du danger de la réunion des pou- voirs ? Si les magistrats chargés de l’exécution des lois ne parviennent pas à le tromper ou à