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(Assemblée nationale.

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[8 août 1789.]

conscience qui voudra se trahir trouvera des motifs qui justifieront toujours assez les causes de sa conduite ; mais moi, je ne cherche pas quelles sont autour de moi les circonstances et les révolutions ; je ne sais pas vaincre mes principes ; je m’y attache et je les défends sans cesse. Mes cahiers, voilà ce que je consulte ; ils sont, dira-t-on, des instructions ; mais mes pouvoirs sont des lois.

Ils avaient raison, ceux qui, se rendant au désir et à la nécessité de la réunion, ont dit qu’ils ne pouvaient rien ; et moi aussi j’ai raison quand je viens vous dire que je ne puis davantage. Je n’existe que par mes pouvoirs, je n’ai de force, d’existence que par mes pouvoirs, et l’on ne doit pas me hlâmer de me servir dans ce momenldes mêmes armesque d’autres personnesplus sages, plus scrupuleuses surtout, ont employées dans un autre temps. Je ne puis voter d’emprunt, je le répète : arrêtez les bases de la constitution, vérifiez les dettes du roi, satisfaites l’impatience de tout une nation, et mon incapacité cessera.

Pourquoi répéter ici les emprunts ? Oubliez-vous que c’est la forme la plus onéreuse et la plus dangereuse qu’un gouvernement obéré puisse mettre en usage ?

Avez-vous oublié que le gouvernement n’a cessé d’emprunter ? 60,000,000 aux notaires, 24,000,000 à la caisse d’escompte, 89,000,000 d’anticipations, 69 millions de retard dans les renies ; en un mot, car je ne puis suivre tous ces emprunts accumulés, uu total de 369,000,000 dont il est redevable, qu’il a empruntés de force ou de gré !

Et cependant vous ne voulez pas vérifier la dette ! Et que pourrai-je dire à mes commettants, lorsqu’ils me reprocheront d’avoir accumulé emprunt sur emprunt, lorsqu’ils me rappelleront que mon premier devoir était de vérifier la dette ? Je serai coupable, et rien ne pourra affaiblir le reproche que j’aurai mérité.

La constitution n’est pas faite, et c’est encore ce qui semble augmenter mon incapacité". Elle sera faite, vous a-t-on dit. Elle sera faite ! Mais elle ne l’est donc pas, mais vous violerez donc vos serments, si vous constatez un emprunt avant la constitution ? Elle sera faite ! rien ne peut donc s’y opposer. Heureux ceux dont les craintes et les alarmes ne troublent pas la sécurité ; mais j’en ai ; je ne veux rien perdre de ma part pour faire la constitution. M. Necker est contrôleur général ; puisse-t-il l’être longtemps ! Mais, huit jours avant sa disgrâce, qui aurait pu prévoir sa chute, surtout au milieu des transports de la nation, lorsqu’elle se félicitait de l’avoir pour toujours ? Et qui ne connaît les orages de la cour et ses révolutions ? Qui ne sait qu’à la cour on a toujours promis au peuple de ne pas le tromper, et qu’on l’a trompé sans cesse ? Qui ne sait qu’on lui a promis de respecter la propriété, la liberté, et que l’on a toujours violé l’une et l’autre ? Je vous demanderai encore : que pourra faire votre emprunt de 30,000,000, lorsque les rentes en retard excèdent plus de 30,000,000 ? Ne voyez-vous pas que l’on cherche à connaître vos dispositions ? On vous présente un emprunt de 30,000,000 aujourd hui, demain on vous en présentera un de 60. C’est ainsi que l’on abuse de votre facilité et de votre bonté. Sera-t-elle donc éternelle, comme le repentir qui nous force de la rejeter ?

Vous dites que la constitution se fera ; mais vous n’en avezpas encore posé les premières bases. Estce la féodalité supprimée ? Mais elle ne l’est pas puisqu’elle est subordonnée à ce règlement que vous devez faire pour le rachat.

Est-ce la liberté de la chasse ? Mais que signifie ce règlement que vous devez donner, et qui peut-être rendra impossible la puissance de vos bienfaits ?


Sont-ce les capitaineries détruites ? Mais vous vous êtes arrogé le droit de les rétablir, sous le prétexte spécieux qu’il fallait veiller aux plaisirs du roi.

Non, vous n’avez pas encore fait le premier article de la constitution. Et comment peut-on le rédiger dans une assemblée aussi orageuse, aussi versatile, qui, le matin, détruit ce qu’elle a fait la veille, et qui remet sans cesse aux opinions ce qu’eile a arrêté ?

Voulez-vous que je vote votre emprunt ? Vérifiez la dette de l’Etat ; faites l’examen, non pas comme le comité des finances s’est donné la peine de le faire, faites l’examen des états que l’on vous a donnés ; consultez, interrogez et vérifiez ; faites surtout que le décret de l’emprunt , soit accompagné de tous les décrets passés dans la nuit du 4, et je vote l’emprunt ; mais rappelez-vous que telle est ma mission, que telle est la vôtre, et que ni vous ni moi n’en avons d’autre.

Ce sont les sentiments que je témoigne au nom de tout mon bailliage.

M. le comte d’Anlraigues. Pouvez-vous autoriser l’emprunt, et les conditions de l’emprunt sont-elles admissibles ?

Telle est la question que vous avez à agiter en ce moment.

Vous représentez le peuple, et vous exercez sa toute- puissance ; dès que vous excédez sa volonté, vous ne pouvez rien, vous n’êtes plus rien. Il veut une constitution ; mais il veut subsister encore après cette constitution ; il serait inutile de la faire pour un peuple qui n’existerait plus. Aussi faut-il, pour consentir cet emprunt, que la nécessité en soit prouvée. Quelles funestes ressources que celles qui ne présentent d’autre subsistance à dévorer que celle de l’avenir ! Il faut au préalable que toutes les autres ressources aient été épuisées, que toutes les économies les plus sévères aient été mises en usage. Personne n’a plus de confiance que moi dans le comité des finances : je lui confierais ma fortune, parce que ma fortune est à moi ; mais je ne puis lui confier le soin de prononcer sur celle des autres : ils m’en ont remis la défense : c’est à moi de remplir ma mission. C’est une nécessité pour tous de vérifier l’emprunt ; c’est une nécessité pour tous d’examiner s’il n’y a pas des moyens d’économie qui pourraient l’écarter. Je le répète, c’est la plus désastreuse de toutes les ressources ; elle ruine l’Etat même dans les siècles à venir, elle écrase la génération présente, et prépare des malheurs à celles qui lui succéderont. Un emprunt nécessite un impôt. En votant un emprunt, c’est établir un impôt, c’est ajouter encore à la masse effrayante qui écrase le peuple. Qui peut nous assurer que les moyens d’économie sont épuisés ? L’opulence de la cour, le faste insultant qu’elle affecte, en sont-ce là les garants ? Est-ce là ce que doit être le cortège d’un prince bienfaisant, qui règne sur un peuple de malheureux ?

Ce n’est donc pas ici qu’il faut chercher des emprunts ; ce sont les économies les plus sévères,